Aventures de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe - Jules Verne - ebook

Aventures de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe ebook

Jules Verne

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Opis

Après avoir reçu des nouvelles du début de la guerre entre la Russie et la Grande-Bretagne, l’expédition s’est scindée en deux parties: russe et anglaise, qui poursuivent leurs recherches séparément. Les Britanniques se retrouvent à l’ombre de Macolo, une tribu célèbre pour ses vols. Cependant, ils ne suivent pas seulement le groupe de scientifiques anglais, mais aussi le russe. Ces voyous d’Afrique du Sud attaquent l’expédition russe et assiègent le mont Scorsef, sur lequel les Russes sont fixés.

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Jules Verne

Aventures de trois Russes et de trois Anglais dans l’Afrique australe

Varsovie 2019

Table des matières

Sur les bords du fleuve Orange

Présentation officielle

Le portage

Quelques mots à propos du mètre

Une bourgade hottentote

Où l’on achève de se connaître

Une base de triangle

Le vingt-quatrième méridien

Un kraal

Le rapide

Où l’on retrouve Nicolas Palander

Une situation au goût de sir John

Avec l’aide du feu

Une déclaration de guerre

Un degré de plus

Incidents divers

Les faiseurs de déserts

Le désert

Trianguler ou mourir

Huit jours au sommet du Scorzef

Fiat lux !

Nicolas Palander s’emporte

Les chutes du Zambèse

À propos

CHAPITRE I

sur les bords du fleuve orange.

Le 27 février 1854, deux hommes, étendus au pied d’un gigantesque saule pleureur, causaient en observant avec une extrême attention les eaux du fleuve Orange. Ce fleuve, le Groote-river des Hollandais, le Gariep des Hottentots, peut rivaliser avec les trois grandes artères africaines, le Nil, le Niger et le Zambèse. Comme elles, il a des crues, des rapides, des cataractes. Quelques voyageurs, dont les noms sont connus sur une partie de son cours, Thompson, Alexander, Burchell, ont tour à tour vanté la limpidité de ses eaux et la beauté de ses rives.

En cet endroit, l’Orange, se rapprochant des montagnes du duc d’York, offrait aux regards un spectacle sublime. Rocs infranchissables, masses imposantes de pierres et de troncs d’arbres minéralisés sous l’action du temps, cavernes profondes, forêts impénétrables que n’avait pas encore déflorées la hache du settler, tout cet ensemble, encadré dans l’arrière-plan des monts Gariepins, formait un site d’une incomparable magnificence. Là, les eaux du fleuve, encaissées dans un lit trop étroit pour elles et auxquelles le sol venait à manquer subitement, se précipitaient d’une hauteur de quatre cents pieds. En amont de la chute, c’était un simple bouillonnement des nappes liquides, déchirées çà et là par quelques têtes de roc enguirlandées de branches vertes. En aval, le regard ne saisissait qu’un sombre tourbillon d’eaux tumultueuses, que couronnait un épais nuage d’humides vapeurs, zébrées des sept couleurs du prisme. De cet abîme s’élevait un fracas étourdissant, diversement accru par les échos de la vallée.

De ces deux hommes que les hasards d’une exploration avaient sans doute amenés dans cette partie de l’Afrique australe, l’un ne prêtait qu’une vague attention aux beautés naturelles offertes à ses regards. Ce voyageur indifférent, c’était un chasseur bushman, un beau type de cette vaillante race aux yeux vifs, aux gestes rapides, dont la vie nomade se passe dans les bois. Ce nom de bushman, – mot anglaisé tiré du hollandais Boschjesman, – signifie littéralement « homme des buissons. » Il s’applique aux tribus errantes qui battent le pays dans le nord-ouest de la colonie du Cap. Aucune famille de ces bushmen n’est sédentaire. Leur vie se passe à errer dans cette région comprise entre la rivière d’Orange et les montagnes de l’est, à piller les fermes, à détruire les récoltes de ces impérieux colons qui les ont repoussés vers les arides contrées de l’intérieur, où poussent plus de pierres que de plantes.

Ce bushman, âgé de quarante ans environ, était un homme de haute taille, et possédait évidemment une grande force musculaire. Même au repos, son corps offrait encore l’attitude de l’action. La netteté, l’aisance et la liberté de ses mouvements dénotaient un individu énergique, une sorte de personnage coulé dans le moule du célèbre Bas-de-Cuir, le héros des prairies canadiennes, mais avec moins de calme peut-être que le chasseur favori de Cooper. Cela se voyait à la coloration passagère de sa face, animée par l’accélération des mouvements de son cœur.

Le bushman n’était plus un sauvage comme ses congénères, les anciens Saquas. Né d’un père anglais et d’une mère hottentote, ce métis, à fréquenter les étrangers, avait plus gagné que perdu, et il parlait couramment la langue paternelle. Son costume, moitié hottentot, moitié européen, se composait d’une chemise de flanelle rouge, d’une casaque et d’une culotte en peau d’antilope, de jambières faites de la dépouille d’un chat sauvage. Au cou de ce chasseur était suspendu un petit sac qui contenait un couteau, une pipe et du tabac. Une sorte de calotte en peau de mouton encapuchonnait sa tête. Une ceinture faite d’une épaisse lanière sauvage serrait sa taille. À ses poignets nus se contournaient des anneaux d’ivoire confectionnés avec une remarquable habileté. Sur ses épaules flottait un « kross », sorte de manteau drapé, taillé dans la peau d’un tigre, et qui descendait jusqu’à ses genoux. Un chien de race indigène dormait près de lui. Ce bushman fumait à coups précipités dans une pipe en os, et donnait des marques non équivoques de son impatience.

« Allons, calmons-nous, Mokoum, lui dit son interlocuteur. Vous êtes véritablement le plus impatient des hommes, – quand vous ne chassez pas ! Mais comprenez donc bien, mon digne compagnon, que nous ne pouvons rien changer à ce qui est. Ceux que nous attendons arriveront tôt ou tard, et ce sera demain, si ce n’est pas aujourd’hui ! »

Le compagnon du bushman était un jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, qui contrastait avec le chasseur. Sa complexion calme se manifestait en toutes ses actions. Quant à son origine, nul n’eût hésité à la reconnaître. Il était Anglais. Son costume beaucoup trop « bourgeois » indiquait que les déplacements ne lui étaient pas familiers. Il avait l’air d’un employé égaré dans une contrée sauvage, et involontairement, on eût regardé s’il ne portait pas une plume à son oreille, comme les caissiers, commis, comptables, et autres variétés de la grande famille des bureaucrates.

En effet, ce n’était point un voyageur que ce jeune homme, mais un savant distingué, William Emery, astronome attaché à l’observatoire du Cap, utile établissement qui depuis longtemps rend de véritables services à la science.

Ce savant, un peu dépaysé peut-être, au milieu de cette région déserte de l’Afrique australe, à quelques centaines de milles de Cape-Town, ne parvenait que difficilement à contenir l’impatience naturelle de son compagnon.

« Monsieur Emery, lui répondit le chasseur en bon anglais, voici huit jours que nous sommes au rendez-vous de l’Orange, à la cataracte de Morgheda. Or, il y a longtemps que pareil événement n’est arrivé à un membre de ma famille, de rester huit jours à la même place ! Vous oubliez que nous sommes des nomades, et que les pieds nous brûlent à demeurer ainsi !

– Mon ami Mokoum, reprit l’astronome, ceux que nous attendons viennent d’Angleterre, et nous pouvons bien leur accorder huit jours de grâce. Il faut tenir compte des longueurs d’une traversée, des retards que le remontage de l’Orange peut occasionner à leur barque à vapeur, en un mot, des mille difficultés inhérentes à une semblable entreprise. On nous a dit de tout préparer pour un voyage d’exploration dans l’Afrique australe, puis cela fait, de venir attendre aux chutes de Morgheda mon collègue, le colonel Everest, de l’observatoire de Cambridge. Voici les chutes de Morgheda, nous sommes à l’endroit désigné, nous attendons. Que voulez-vous de plus, mon digne bushman ? »

Le chasseur voulait davantage sans doute, car sa main tourmentait fébrilement la batterie de son rifle, un excellent Manton, arme de précision, à balle conique, qui permettait d’abattre un chat sauvage ou une antilope à une distance de huit à neuf cents yards. On voit que le bushman avait renoncé au carquois d’aloës et aux flèches empoisonnées de ses compatriotes pour employer les armes européennes.

« Mais ne vous êtes-vous point trompé, monsieur Emery, reprit Mokoum. Est-ce bien aux chutes de Morgheda, et vers la fin de ce mois de janvier que l’on vous a donné rendez-vous ?

– Oui, mon ami, répondit tranquillement William Emery, et voici la lettre de M. Airy, le directeur de l’observatoire de Greenwich, qui vous prouvera que je ne me suis pas trompé. »

Le bushman prit la lettre que lui présentait son compagnon. Il la tourna et la retourna en homme peu familiarisé avec les mystères de la calligraphie. Puis la rendant à William Emery :

« Répétez-moi donc, dit-il, ce que raconte ce morceau de papier noirci ? »

Le jeune savant, doué d’une patience à toute épreuve, recommença un récit vingt fois fait déjà à son ami le chasseur. Dans les derniers jours de l’année précédente, William Emery avait reçu une lettre qui l’avisait de la prochaine arrivée du colonel Everest et d’une commission scientifique internationale à destination de l’Afrique australe. Quels étaient les projets de cette commission, pourquoi se transportait-elle à l’extrémité du continent africain ? Emery ne pouvait le dire, la lettre de M. Airy se taisant à ce sujet. Lui, suivant les instructions qu’il avait reçues, s’était hâté de préparer à Lattakou, une des stations les plus septentrionales de la Hottentotie, des chariots, des vivres, en un mot tout ce qui était nécessaire au ravitaillement d’une caravane boschjesmane. Puis, connaissant de réputation le chasseur indigène Mokoum, qui avait accompagné Anderson dans ses chasses de l’Afrique occidentale et l’intrépide David Livingstone lors de son premier voyage d’exploration au lac Ngami et aux chutes du Zambèse, il lui offrit le commandement de cette caravane.

Ceci fait, il fut convenu que le bushman, qui connaissait parfaitement la contrée, conduirait William Emery sur les bords de l’Orange, aux chutes de Morgheda, à l’endroit désigné. C’est là que devait les rejoindre la commission scientifique. Cette commission avait dû prendre passage sur la frégate Augusta de la marine britannique, gagner l’embouchure de l’Orange sur la côte occidentale de l’Afrique, à la hauteur du cap Volpas, et remonter le cours du fleuve jusqu’aux cataractes. William Emery et Mokoum étaient donc venus avec un chariot qu’ils avaient laissé au fond de la vallée, chariot destiné à transporter à Lattakou les étrangers et leurs bagages, s’ils ne préféraient s’y rendre par l’Orange et ses affluents, après avoir évité par un portage de quelques milles les chutes de Morgheda.

Ce récit terminé et bien gravé cette fois dans l’esprit du bushman, celui-ci s’avança jusqu’au bord du gouffre au fond duquel se précipitait avec fracas l’écumante rivière. L’astronome le suivit. Là, une pointe avancée permettait de dominer le cours de l’Orange, en aval de la cataracte, jusqu’à une distance de plusieurs milles.

Pendant quelques minutes, Mokoum et son compagnon observèrent attentivement la surface de ces eaux qui reprenaient leur tranquillité première à un quart de mille au-dessous d’eux. Aucun objet, bateau ou pirogue, n’en troublait le cours. Il était trois heures alors. Ce mois de janvier correspond au juillet des contrées boréales, et le soleil, presque à pic sur ce vingt-neuvième parallèle, échauffait l’air jusqu’au cent cinquième degré Fahrenheit à l’ombre. Sans la brise de l’ouest, qui la modérait un peu, cette température eût été insoutenable pour tout autre qu’un bushman. Cependant, le jeune savant, d’un tempérament sec, tout os et tout nerfs, n’en souffrait pas trop. L’épais feuillage des arbres qui se penchaient sur le gouffre le préservait d’ailleurs des atteintes immédiates des rayons solaires. Pas un oiseau n’animait cette solitude à ces heures chaudes de la journée. Pas un quadrupède ne quittait le frais abri des buissons et ne se hasardait au milieu des clairières. On n’aurait entendu aucun bruit, dans cet endroit désert, quand bien même la cataracte n’eût pas empli l’air de ses mugissements.

Après dix minutes d’observation, Mokoum se retourna vers William Emery, frappant impatiemment la terre de son large pied. Ses yeux, dont la vue était si pénétrante, n’avaient rien découvert.

« Et si vos gens n’arrivent pas ? demanda-t-il à l’astronome.

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