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Dans le roman „Face au drapeau”, raconte le destin de Tom Rock, l’inventeur des moyens destructeurs d’un pouvoir énorme. Le désir de tirer profit de son invention amène Rock à la folie et son „fulgurateur” devient la propriété des pirates internationaux. Basé sur ce roman, le célèbre film de Karl Zeman „Le mystère de la banquise insulaire”.
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Jules Verne
Face au drapeau
Varsovie 2019
Table des matières
I. Healthful-House
II. Le comte d'Artigas
III. Double enlèvement
IV. La goélette Ebba
V. Où suis-je?
VI. Sur le pont
VII. Deux jours de navigation
VIII. Back-Cup
IX. Dedans
X. Ker Karraje
XI. Pendant cinq semaines
XII. Les conseils de l'ingénieur Serkö
XIII. À Dieu vat!
XIV. Le Sword aux prises avec le tug
XV. Attente
XVI. Encore quelques heures
XVII. Un contre cinq
XVIII. À bord du Tonnant
I
Healthful-House
La carte que reçut ce jour-là – 15 juin 189.. – le directeur de l'établissement de Healthful-House, portait correctement ce simple nom, sans écusson ni couronne:
LE COMTE D'ARTIGAS
Au-dessous de ce nom, à l'angle de la carte, était écrite au crayon l'adresse suivante:
«À bord de la goélette Ebba, au mouillage de New-Berne, Pamplico-Sound.»
La capitale de la Caroline du Nord – l'un des quarante-quatre États de l'Union à cette époque – est l'assez importante ville de Raleigh, reculée de quelque cent cinquante milles à l'intérieur de la province. C'est grâce à sa position centrale que cette cité est devenue le siège de la législature, car d'autres l'égalent ou la dépassent en valeur industrielle et commerciale, – telles Wilmington, Charlotte, Fayetteville, Edenton, Washington, Salisbury, Tarboro, Halifax, New-Berne. Cette dernière ville s'élève au fond de l'estuaire de la Neuze-river, qui se jette dans le Pamplico-Sound, sorte de vaste lac maritime, protégé par une digue naturelle, îles et flots du littoral carolinien.
Le directeur de Healthful-House n'aurait jamais pu deviner pour quel motif il recevait cette carte, si elle n'eût été accompagnée d'un billet demandant pour le comte d'Artigas la permission de visiter son établissement. Ce personnage espérait que le directeur voudrait bien donner consentement à cette visite, et il devait se présenter dans l'après-midi avec le capitaine Spade, commandant la goélette Ebba.
Ce désir de pénétrer à l'intérieur de cette maison de santé, très célèbre alors, très recherchée des riches malades des États-Unis, ne pouvait paraître que des plus naturels de la part d'un étranger. D'autres l'avaient déjà visitée, qui ne portaient pas un aussi grand nom que le comte d'Artigas, et ils n'avaient point ménagé leurs compliments au directeur de Healthful-House. Celui-ci s'empressa donc d'accorder l'autorisation sollicitée, et répondit qu'il serait honoré d'ouvrir au comte d'Artigas les portes de l'établissement.
Healthful-House, desservie par un personnel de choix, assurée du concours des médecins les plus en renom, était de création privée. Indépendante des hôpitaux et des hospices, mais soumise à la surveillance de l'État, elle réunissait toutes les conditions de confort et de salubrité qu'exigent les maisons de ce genre, destinées à recevoir une opulente clientèle.
On eût difficilement trouvé un emplacement plus agréable que celui de Healthful-House. Au revers d'une colline s'étendait un parc de deux cents acres, planté de ces essences magnifiques que prodigue l'Amérique septentrionale dans sa partie égale en latitude aux groupes des Canaries et de Madère. À la limite inférieure du parc s'ouvrait ce large estuaire de la Neuze, incessamment rafraîchi par les brises du Pamplico-Sound et les vents de mer venus du large pardessus l'étroit lido du littoral.
Healthful-House, où les riches malades étaient soignés dans d'excellentes conditions hygiéniques, était plus généralement réservée au traitement des maladies chroniques; mais l'administration ne refusait pas d'admettre ceux qu'affectaient des troubles intellectuels, lorsque ces affections ne présentaient pas un caractère incurable.
Or, précisément, – circonstance qui devait attirer l'attention sur Healthful-House, et qui motivait peut-être la visite du comte d'Artigas, – un personnage de grande notoriété y était tenu, depuis dix-huit mois, en observation toute spéciale.
Le personnage dont il s'agit était un Français, nommé Thomas Roch, âgé de quarante-cinq ans. Qu'il fût sous l'influence d'une maladie mentale, aucun doute à cet égard. Toutefois, jusqu'alors, les médecins aliénistes n'avaient pas constaté chez lui une perte définitive de ses facultés intellectuelles. Que la juste notion des choses lui fit défaut dans les actes les plus simples de l'existence, cela n'était que trop certain. Cependant sa raison restait entière, puissante, inattaquable, lorsque l'on faisait appel à son génie, et qui ne sait que génie et folie confinent trop souvent l'un à l'autre! Il est vrai, ses facultés affectives ou sensoriales étaient profondément atteintes. Lorsqu'il y avait lieu de les exercer, elles ne se manifestaient que par le délire et l'incohérence. Absence de mémoire, impossibilité d'attention, plus de conscience, plus de jugement. Ce Thomas Roch n'était alors qu'un être dépourvu de raison, incapable de se suffire, privé de cet instinct naturel qui ne fait pas défaut même à l'animal, – celui de la conservation, – et il fallait en prendre soin comme d'un enfant qu'on ne peut perdre de vue. Aussi, dans le pavillon 17 qu'il occupait au bas du parc de Healthful-House, son gardien avait-il pour tâche de le surveiller nuit et jour.
La folie commune, lorsqu'elle n'est pas incurable, ne saurait être guérie que par des moyens moraux. La médecine et la thérapeutique y sont impuissantes, et leur inefficacité est depuis longtemps reconnue des spécialistes. Ces moyens moraux étaient-ils applicables au cas de Thomas Roch? il était permis d'en douter, même en ce milieu tranquille et salubre de Healthful-House. En effet, l'inquiétude, les changements d'humeur, l'irritabilité, les bizarreries de caractère, la tristesse, l'apathie, la répugnance aux occupations sérieuses ou aux plaisirs, ces divers symptômes apparaissaient nettement. Aucun médecin n'aurait pu s'y méprendre, aucun traitement ne semblait capable de les guérir ni de les atténuer.
On a justement dit que la folie est un excès de subjectivité, c'est-à-dire un état où l'âme accorde trop à son labeur intérieur, et pas assez aux impressions du dehors. Chez Thomas Roch, cette indifférence était à peu près absolue. Il ne vivait qu'en dedans de lui-même, en proie à une idée fixe dont l'obsession l'avait amené là où il en était. Se produirait-il une circonstance, un contrecoup qui «l'extérioriserait», pour employer un mot assez exact, c'était improbable, mais ce n'était pas impossible.
Il convient d'exposer maintenant dans quelles conditions ce Français a quitté la France, quels motifs l'ont attiré aux États- Unis, pourquoi le gouvernement fédéral avait jugé prudent et nécessaire de l'interner dans cette maison de santé, où l'on noterait avec un soin minutieux tout ce qui lui échapperait d'inconscient au cours de ses crises.
Dix-huit mois auparavant, le ministre de la Marine à Washington reçut une demande d'audience au sujet d'une communication que désirait lui faire ledit Thomas Roch.
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