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La base de tout le travail est la corrélation des mondes matériel et spirituel. L’histoire de l’homme et de la tentation. Faust est un scientifique qui aspirait a une grande connaissance et qui était déçu de la vie ou, pour le dire plus simplement, en avait marre et s’ennuyait. Il y a sur le chemin le diable, qui le séduit par un contrat – rassasier sa vie avec ce qu’il veut, mais en échange veut l’âme.
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Johann Wolfgang von Goethe
Faust
Tragédie
Varsovie 2019
Table des matières
PROLOGUE. SUR LE THÉÂTRE
PROLOGUE. DANS LE CIEL
LA TRAGÉDIE
PROLOGUE
SUR LE THÉÂTRE]
DIRECTEUR, POÈTE DRAMATIQUE, PERSONNAGE BOUFFON.
LE DIRECTEUR.
Vous qui m'avez si souvent prêté votre appui dans mes revers de fortune, dites-moi franchement, mes amis, ce que vous espérez en Allemagne de notre entreprise. Mon plus grand désir serait de plaire à la multitude; il n'est qu'elle au monde qui vive et fasse vivre. Déjà les pieux sont enfoncés en terre, les planches sont clouées sur les pieux, et chacun se promet une fête: les spectateurs garnissent déjà les bancs; et, immobiles, les sourcils élevés, l'œil fixe, ils ne demandent qu'à applaudir. Je n'ignore pas la manière de se concilier les suffrages du public; eh bien! jamais pourtant je ne me suis senti tant d'inquiétude qu'aujourd'hui. Il est vrai qu'en fait de chefs-d'œuvre ils ne sont pas gâtés; mais ils ont terriblement lu. Comment allons-nous donc nous y prendre pour leur donner quelque chose qui leur semble neuf, et qui les intéresse en même temps? Car, je ne m'en cache point, aucun spectacle ne vaut à mes yeux celui de la multitude, lorsqu'elle roule ses vagues contre nos tréteaux, et qu'avec l'impétuosité du vent elle s'engouffre dans la porte étroite. Au grand jour, dès quatre heures, ils assiègent déjà le bureau, et se feraient assommer pour un billet; comme à la porte d'un boulanger on le ferait pour un pain, s'il y avait disette. Et ce miracle opéré sur tant d'hommes à la fois, c'est l'ouvrage d'un seul, c'est l'ouvrage du poète. O mon ami, opère ce miracle aujourd'hui, je t'en conjure.
LE POÈTE.
Non, ne me parle pas de cette foule aveugle à sa vue, l'inspiration nous abandonne. Cache-moi cette multitude, dont les flots nous entraînent malgré nous dans le tourbillon du monde. C'est au-dessus des nuages qu'il faut me conduire, dans ces régions tranquilles où règne, pour le poète, une volupté pure, où l'amour et l'amitié, consolateurs de nos peines, nous tendent une main céleste, une main créatrice. Hélas! ce qui jaillit du fond de notre âme, ce que bégaient nos lèvres tremblantes, tantôt avorté, tantôt couronné d'un succès éphémère, disparaît englouti dans le gouffre du temps. Mais souvent il arrive aussi qu'après avoir traversé sans gloire un siècle ou deux, notre génie secoue les linceuls de l'oubli, et soulève une tête colossale. Ce qui brille ne dure qu'un temps; jamais le vrai beau n'est perdu pour la postérité.
LE PERSONNAGE BOUFFON.
Si on voulait bien ne pas toujours parler de la postérité!... Supposons que moi je me misse à m'occuper de la postérité, qui donc se chargerait d'amuser mes contemporains? Et il n'y a pas à dire, il faut qu'ils s'amusent. Le suffrage d'un honnête homme est, ce me semble, déjà quelque chose. D'ailleurs celui qui sait parler un langage convenable, n'a rien à redouter des caprices du peuple; au contraire, plus le cercle est nombreux, plus il est certain de l'émouvoir. Soyez beau tant que vous voulez, et montrez-vous original; que chez vous l'imagination se déploie avec tout son cortège de raison, d'esprit, de sentiment, de passion; mais, prenez-y bien garde, jamais sans un grain de folie.
LE DIRECTEUR.
Surtout faites la part un peu large; que les événements se pressent. Pourquoi vient-on? pour voir: on veut voir à toute force. Qu'il y ait donc beaucoup à voir, afin de faire ouvrir de grands yeux à la foule; et votre cause est gagnée, et vous êtes un homme adorable. Ce n'est que par la masse, que vous agirez sur la masse; car, enfin, chacun cherchant quelque chose qui lui convienne, celui qui apporte beaucoup, apportera à chacun quelque chose; et nul ne sortira mécontent de la salle. Donnez votre pièce en petite monnaie, elle aura un débit plus sûr et plus prompt. Qu'elle se décompose, aussi facilement qu'elle fût composée. À quoi bon produire un tout compact? Le public vous le plumera comme un geai.
LE POÈTE.
Vous ne sentez pas tout ce qu'il y a de vulgaire dans un pareil métier, combien le véritable artiste y répugne! Le barbouillage de ces messieurs est, je le vois, dans votre méthode.
LE DIRECTEUR.
Ce reproche ne m'atteint pas. Un ouvrier qui songe à bien travailler, doit acheter le meilleur outil possible: songez donc, vous, que vous avez du bois mou à fendre, et voyez quels sont ceux pour qui vous écrivez. Pendant que l'ennui nous amène celui-là, celui-ci sort d'un repas splendide où il s'en est mis jusqu'au gosier; et, ce qu'il y a de pis encore, plus d'un vient d'achever la lecture des gazettes. On se hâte d'entrer chez nous, distrait comme pour une mascarade; et la curiosité seule donne des ailes aux plus tardifs: les belles dames se couvrent de parures, et jouent leur rôle gratis... Que diantre rêvez-vous sur votre Parnasse? En quoi peut vous inspirer une salle garnie de monde? Eh! regardez de près nos Mécènes. Ils sont, les uns blasés, les autres à moitié ours: l'un, après le spectacle, s'attend à une partie de jeu, l'autre à une nuit de plaisirs dans les bras de sa maîtresse. Y pensez-vous, pauvres fous, d'aller prostituer à ces gens-là les chastes Muses? Je vous le répète, donnez-leur en de toute couleur et de toute qualité: ainsi vous ne manquerez jamais votre but. Cherchez à intriguer les hommes; les contenter est trop difficile... Mais qu'est-ce qui vous prend? Extase? douleur?
LE POÈTE.
Va loin d'ici chercher un autre esclave... Que pour ton bon plaisir le poète déshonore son plus beau titre! qu'il renonce au droit sacré dont la nature l'a investi!... Par quelle puissance émeut-il les âmes? par quelle puissance bouleverse-t-il les éléments? N'est-ce point à l'aide de l'accord parfait qui règne en lui-même, et qui oblige l'univers à se reconstruire au fond de son propre cœur? Pendant que la Nature, tournant son fuseau d'une main insouciante, démêle, en se jouant, les fils éternels de toute existence, pendant que la foule tumultueuse des êtres se presse en désordre, et accomplit péniblement sa dure destinée; qui sait animer d'un feu divin cette masse inerte, uniforme, et l'assujettir aux lois de l'harmonie? Qui sait faire rentrer l'individu isolé dans l'ordre universel? Qui répand un doux crépuscule sur les sens absorbés dans une méditation austère? Qui sème toutes les jolies fleurs du printemps le long du sentier foulé par une amante? Qui dépouille de leurs feuilles les arbres, où elles pendaient inutiles, et les tresse en couronnes pour les distribuer aux mérites de tous genres? Qui soutient l'Olympe? Qui convoque l'assemblée des Dieux? La puissance de l'homme, révélée dans le poète.
LE PERSONNAGE BOUFFON.
Hé bien, tout en se servant des plus nobles facultés de l'esprit, ne poursuit-elle pas ses occupations poétiques, comme on poursuit une aventure d'amour? On se rapproche par hasard, on s'enflamme, on reste, et peu à peu on se trouve pris; le bonheur croît à chaque moment, l'attaque commence enfin, on est enivré, transporté: puis arrive le dégoût, et avant qu'on s'en aperçoive, on a broché un roman. Voilà le spectacle que vous devez mettre sous nos yeux. Lancez-vous au milieu de la vie humaine. Chacun vit de cette vie-là un petit nombre la connaît; et c'est le peu que vous en montrez, qui fait tout le charme de vos ouvrages. Dans un flux d'images une faible clarté, beaucoup d'erreurs et une étincelle de vérité; avec cela l'on compose le meilleur breuvage, avec cela l'on captive et l'on édifie tout le monde. Alors s'assemble la fleur de la jeunesse, et dans votre œuvre elle se mire avec complaisance; alors tout sentiment tendre trouve la nourriture mélancolique qui lui convient; alors sont émus tantôt l'un, tantôt l'autre des spectateurs, et chacun voit représenté au naturel ce qu'il porte en lui-même. Ils sont prêts à rire comme à pleurer, à pleurer comme à rire: ils honorent les efforts du poète, ils applaudissent à l'illusion de la scène. Pour l'homme déjà fait rien n'est bon; mais on peut s'assurer en la gratitude de celui qui espère devenir homme.
LE POÈTE.
Rends-moi donc, rends-moi les temps où je n'étais encore moi-même qu'en espérance; lorsqu'une source intarissable de chants mélodieux coulait de ma veine, lorsqu'un voile de nuages dérobait le monde à mes regards, que les bourgeons promettaient des fruits merveilleux, et que je cueillais d'une main avide les millions de fleurs qui tapissaient les vallées. Je n'avais rien, et ce rien me suffisait: c'était l'amour de la vérité et la volupté des songes. Rends-moi les désirs indomptés qui fatiguaient mon cœur, rends-moi ce cœur profondément ébranlé, et la force de haïr, et la puissance d'aimer! Rends-moi ma jeunesse!
LE PERSONNAGE BOUFFON.
La jeunesse, mon ami? Tu en aurais besoin, si dans la bataille l'ennemi te pressait de toutes parts; ou si de jeunes filles charmantes se pendaient à ton col; ou bien si de loin tu voyais la couronne, prix de l'agilité, se balancer près d'une barrière difficile à atteindre; ou encore si, au sortir d'une danse animée, il te fallait passer la nuit dans les festins. Mais jouer avec force et grâce sur une lyre familière, se proposer un but vague, et s'y rendre à travers mille agréables détours; voilà, messieurs les vieillards, ce qui doit vous occuper. Et nous ne vous en estimons pas moins pour cela. La vieillesse ne nous fait pas, comme on dit, retomber en enfance; elle nous trouve encore vrais enfants.
LE DIRECTEUR.
Assez discourir: montrez-moi enfin des actions. Pendant que vous faites assaut de paroles, il pourrait se passer quelque chose d'utile. À quoi bon parler de la disposition où l'on devrait être? Pour s'y mettre, il faut agir. Vous donnez-vous pour un poète, commandez à la poésie. Vous savez bien quels sont nos besoins nous voulons des boissons fortes: brassez-en donc sur l'heure! Ce qui ne se fait pas aujourd'hui, demain n'est pas fait; et il ne faut pas perdre un jour à délibérer. Prenons l'occasion par les cheveux, et ne la lâchons point, si nous prétendons répondre à l'attente du public.
Vous savez que, sur nos théâtres d'Allemagne, chacun s'essaie à ce qu'il veut: ainsi n'épargnez aujourd'hui, ni les décorations, ni les machines. Servez-vous de la grande et de la petite lumière du ciel; vous pouvez semer à pleines mains les étoiles: d'eau, de feu, de rochers escarpés, de quadrupèdes, d'oiseaux, nous n'en manquons pas non plus. Transportez donc de plein saut, dans cette étroite maison de planches, tout le cercle de la création; et, avec une vitesse calculée d'avance, allez des cieux, à travers le monde, aux enfers.
PROLOGUE
DANS LE CIEL
LE SEIGNEUR, LES ARMÉES CÉLESTES, (ensuite) MÉPHISTOPHÉLÈS.
(Trois Archanges[1] s'avancent.)
RAPHAËL. Le soleil poursuit son cantique, Dans le chœur des mondes roulants: Le long de sa carrière antique Il imprime ses pas brûlants. Tout ébloui de sa lumière, L'ange se voile devant lui. Il fût, dès son aube première, Ce qu'il est encore aujourd'hui. GABRIEL. Sur la terre, qu'au loin épure Un seul regard de son amour, Le jour chasse la nuit obscure, Et fuit devant elle à son tour. La mer brise ses larges ondes Au pied des rochers indomptés, Et dans l'éternel flux des mondes Rochers et mers sont emportés. MICHEL. L'orage gronde: ivre il se lance Des monts aux mers, des mers aux monts; Et son aveugle turbulence Agite les gouffres profonds. L'éclair flamboie à traits sinistres, La foudre éclate et fend le ciel. Mais, Seigneur, tes heureux ministres Adorent ton jour éternel. LES TROIS ENSEMBLE. Comme un père sur eux tu veilles, Sur toi leur œil s'ouvre incertain, Et tes ouvrages, ô merveilles! Sont beaux comme au premier matin. MÉPHISTOPHÉLÈS. Seigneur, puisqu'une fois, en prince affable et doux, Laissant d'un peu plus près envisager ta gloire, Tu daignes demander comment tout va chez nous; Et que d'ailleurs, si j'ai mémoire, Loin d'exciter en toi le plus léger courroux, Ma personne eut souvent l'heureux don de te plaire; Me voici près du trône, au milieu de tes gens. Pardon, je ne viens pas céans Débiter de grands mots. Mieux vaudrait-il me taire. Non, dussé-je m'ouïr siffler Par l'assistance tout entière, Comme on parle à ta cour je ne saurais parler; Et si par grand malheur je m'en voulais mêler, Mon pathos te ferait bien rire... Supposé toutefois que cela pût aller Avec ta dignité de Sire. Bref, je suis pauvre en ornements, Surtout quand il s'agit du bel ordre du monde; Et de tes chérubins je n'ai point la faconde, Ni l'art de m'épuiser en saints ravissements. Sur les choses de ce bas monde Je pense si différemment! D'où vient?–C'est que ma vue est courte apparemment, Ou ma cervelle peu féconde. Toujours y remarqué-je, à parler sans détour, Du pauvre fils d'Adam la misère profonde. Ce petit dieu de la machine ronde Est, sur ma foi, plus sot qu'au premier jour; Et m'est avis qu'après l'avoir pétri de terre, Tu lui jouas d'un mauvais tour En l'éclairant de ta lumière. Pour diriger ses pas, quel étrange fanal Que ce reflet céleste empreint sur son visage! Il le nomme raison: mais, par un sort fatal, Le malheureux n'en fait usage Que pour ravaler ton image À l'état de pur animal. Moi, j'oserais comparer l'homme (Sauf la permission de Votre Majesté) À cet insecte ailé que sauterelle il nomme, Sur de longues pattes monté, Gambadant tant que l'été dure, Et répétant sur la verdure Un vieux refrain de tous les ans. Encore si c'était là qu'il consumât le temps! Mais non, pas un fumier, pas une fange impure, Où ce dieu ne mette son nez. LE SEIGNEUR. N'as-tu donc rien autre à m'apprendre? Tous les discours qu'ici tu me forces d'entendre À des sarcasmes froids seront-ils donc bornés? Et ne verras-tu rien qui ne soit à reprendre Au monde où les hommes sont nés? MÉPHISTOPHÉLÈS. Las! oui, Seigneur (soit dit sans vous déplaire), Vous me trouvez encore du même avis, Et soutenant que tout dans ce monde est au pis. De l'Homme enfin si grande est la misère, Que moi-même parfois je m'en sens attristé, Et que de rendre pire une telle existence Depuis long-temps en vérité Je me fais quelque conscience. LE SEIGNEUR. Connais-tu Faust? MÈPHISTOPHÉLÈS. Qui? le docteur? LE SEIGNEUR. Eh! sans doute, mon serviteur. MÈPHISTOPHÉLÈS. Il vous sert en effet de la belle manière. Rien de terrestre chez ce fou: À peine ce qu'il mange est-il fait de matière. Ours rechigné, vrai loup-garou, Il reste nuit et jour enfermé dans son trou, Espèce de tombeau sans air et sans lumière. Mais si son corps ne bouge pas, Son esprit au contraire est toujours en campagne: Plaine, torrent, vallon, montagne, Dans tous les recoins de là-bas Il se glisse et prend ses ébats; Et puis il monte au ciel, il nage dans l'espace, Demande à l'univers tous ses plus grands plaisirs... Après quoi pourtant il se lasse Et retombe à la même place, Consumé des mêmes désirs. LE SEIGNEUR. Battu comme il l'est de l'orage, Si, sans que rien l'ébranle, il demeure debout, Si, vainqueur dans la lutte, il me sert jusqu'au bout, Je le recueillerai pour prix de son courage. Mais, le frêle arbrisseau qui n'a vu qu'un printemps Vient-il à se couvrir d'une tendre verdure, Le jardinier sait bien qu'au midi de ses ans Fleurs et fruits seront sa parure. MÉPHISTOPHÉLÈS. Si bien donc que sur lui vous comptez quelque peu? Gageons que celui-là vous le perdrez encore! Pourvu que, jouant un franc jeu, Vous me laissiez de votre aveu Brûler son âme à petit feu, Et sans aucune entrave amener la pécore Où bon me semblera. M'accordez-vous ce point? LE SEIGNEUR. Aussi long-temps que Faust habitera la terre, Je ne t'en empêcherai point. Tant que l'homme y voyage, il erre. MÉPHISTOPHÉLÈS. Votre cadeau, Seigneur, me ravit, me confond. J'ai toujours abhorré d'avoir aux morts affaire, Et de beaucoup je leur préfère Un visage au teint rubicond. Pour un citoyen de la bière Je ne suis jamais au logis... Comme le chat pour la souris. LE SEIGNEUR. Je daigne exaucer ta prière. Va, détourne, si tu le peux, Détourne cet esprit de sa source première; Fais-le suivre avec toi le chemin tortueux Des ennemis de la lumière; Et rougis, si tu dois avouer à la fin Que, jusque dans les rangs de la foule grossière, Le juste peut encore choisir le droit chemin. MÉPHISTOPHÉLÈS. Bon! nous n'en aurons pas pour long-temps, je le jure. Orgueil à part, je ne vois nul sujet D'être en souci de ma gageure. Si j'arrive à bon port, vous voudrez, s'il vous plaît, M'accorder les honneurs d'une victoire entière. Il mangera de la poussière, Et trouvera cet aliment fort sain, Comme le vieux serpent, mon illustre cousin. LE SEIGNEUR. Tu peux en liberté paraître dans le monde. Je n'en voudrais bannir ni tes pareils, ni toi; Car, seul parmi la race immonde, Le Malin fût toujours très-précieux pour moi. Sous la matière qui l'accable L'homme risque par fois de perdre tout ressort, Et de changer sa vie en un sommeil de mort. J'aime donc à lui voir un compagnon semblable, Qui l'excite au combat, l'éveille quand il dort.
...De temps en temps j'aime à voir le vieux père, Et je me garde bien de lui rompre en visière...
Et peut même au besoin créer, comme le Diable. Vous cependant, ô vous, nobles enfants du ciel, Livrez-vous sans contrainte aux pensers ineffables Du séjour éternel; Et tandis que l'auteur des êtres innombrables Épanche autour de vous les flots de son amour, Célébrez ces êtres d'un jour En vos âmes impérissables.
(Le ciel se ferme, les Archanges se retirent.)
MÉPHISTOPHÉLÈS seul. De temps en temps j'aime à voir le vieux père, Et je me garde bien de lui rompre en visière. Traiter un pauvre diable avec cette douceur!... Vraiment dans un si grand seigneur Autant de bonhomie est chose singulière.
LA TRAGÉDIE
PREMIÈRE PARTIE
LA NUIT. UNE CHAMBRE GOTHIQUE, À VOUTES HAUTES ET ÉTROITES.
FAUST assis devant un pupitre, l'air agité.
FAUST.
Eh bien donc, philosophie, jurisprudence, médecine... hélas! et toi aussi, théologie! je vous ai toutes apprises, toutes étudiées, avec des peines infinies; et, après tant et de si longues veilles, me voici, pauvre fou, aussi sage que devant. Je porte, il est vrai, le titre de Docteur, celui de Maître; et il y a bien dix ans, que je promène mes sots élèves à travers un labyrinthe inextricable... Et je m'aperçois, enfin, que nous ne pouvons rien connaître. Rien!... J'en mourrai. Il n'est cependant pas au monde un seul homme, maître, docteur, clerc ou moine, qui en sache aussi long que moi: pas un doute ne m'arrête, pas un scrupule ne me travaille, je ne crains ni enfer ni diable... Mais aussi, la joie m'a fui sans retour: je suis loin de croire que je sache rien de bon; je suis loin de croire que je puisse rien enseigner aux hommes, pour améliorer leur condition misérable et les remettre dans le droit chemin. Je n'ai d'ailleurs ni biens, ni argent, ni honneurs, ni crédit dans le monde... Non, un chien ne voudrait pas de l'existence, à ce prix-là! Je ne vois plus maintenant qu'une chose à essayer, c'est de me jeter dans la magie. Il le faut. Ah! si la puissance de l'Esprit et de la Parole dessillait mes yeux, et leur dévoilait cet abîme où je brûle de descendre! Que je ne fusse plus esclave des mots, et contraint de dire à grand-peine ce que j'ignore; que je connusse tout ce que la nature cache dans ses entrailles, tout ce qu'il y a pour l'homme au centre de l'énergie du monde et à la source des semences éternelles!
Que n'accordes-tu donc un dernier regard à ma misère, lune, qui tant de fois éclairas mes veilles devant ce même pupitre! C'est au milieu d'un vain amas de livres et de papiers, mélancolique amie, que tu m'apparais alors. Que ne puis-je, hélas! gravir sur le sommet des montagnes! Là, j'irais, dans ta jeune lumière, me glisser autour des cavernes avec les Esprits. Que ne puis-je danser sur les prairies à tes pâles clartés, et, libre des tourments de la science, me baigner à loisir dans la rosée qui émane de ta sphère silencieuse!
Malheureux! je languis, encore enchaîné dans ma prison. Maudit sois-tu, réduit obscur, où la douce lumière du ciel elle-même n'arrive que triste et plombée, à travers ces vitrages peints; où, de quelque côté que je tourne les yeux, je ne vois que livres couverts de poudre et mangés des vers, que papiers amoncelés jusqu'au haut des voûtes, que boîtes, verres, instruments de mille sortes; tous vieux meubles pourris, que j'ai reçus de mes ancêtres... C'est là ton monde! On appelle cela un monde!
Et tu demandes encore pourquoi ton cœur se resserre avec angoisse dans ta poitrine, pourquoi une douleur sourde glace tes membres et y enchaîne le mouvement de la vie? Tu le demandes; et, au lieu de la nature vivante, au sein de laquelle Dieu créa les hommes, tu n'as autour de toi que fumée et moisissure, squelettes d'animaux et ossements de morts!
Allons, fuis, lance-toi dans le libre espace! Ce volume mystérieux, que Nostradamus écrivit de sa propre main, n'est-il point un guide assez sûr? Avec son secours seulement, tu commenceras à pouvoir lire dans le cours des astres; ton âme, instruite par lui, sentira sa force renaître, et saura comment un Esprit parle à un autre Esprit... Mais c'est en vain qu'à l'aide d'un bon sens grossier, tu voudrais expliquer les signes sacrés... Esprits, qui nagez autour de moi répondez-moi, si vous m'entendez!
(Il ouvre le volume, et aperçoit le signe du Macrocosme[3].)
Ah! comme, à cette vue, tous mes sens ont tressailli! Dans quelle extase céleste ai-je été plongé tout à coup! On dirait qu'un sang plus jeune et plus pur circule dans mes veines; mes nerfs sont agités de frémissements inconnus. Est-ce de la main d'un Dieu que furent tracés ces caractères, qui soulagent mes peines secrètes, qui inondent mon pauvre cœur de joie, et qui me dévoilent, d'une manière si mystérieuse, les forces cachées de la nature? Suis-je un Dieu moi-même? Tout me devient si clair! À l'aide de ces simples traits, je vois se déployer, devant mon âme, la nature tout entière et son énergie créatrice. Aujourd'hui, pour la première fois, je comprends la vérité de cette parole du sage «Le monde des Esprits n'est point fermé; ton sens est aveuglé, ton cœur est mort. «Lève-toi, disciple, et ne cesse de baigner ton corps mortel dans les rayons de l'aurore.»
(Il regarde le signe.)
Que de mouvement au sein de l'univers! Comme toutes les choses concourent à une même fin, et vivent l'une dans l'autre d'une même vie! Comme les Intelligences célestes montent et descendent, et se passent de main en main les seaux d'or! Quelle rosée délicieuse elles répandent sur la terre aride, et quelle ravissante harmonie le battement de leurs ailes imprime aux espaces du monde, qu'elles parcourent incessamment!
Merveilleux spectacle!... Mais, hélas! rien qu'un spectacle! Où donc te trouver, où te saisir, nature infinie? Où êtes-vous, sources de toute existence? Vous en qui les cieux et la terre puisent cette sève éternelle qui les nourrit, vous qui rajeunissez le sein flétri, vous ne tarissez jamais, vous abreuvez tous les êtres et moi je languis vainement après vous!
(Il saisit le volume, tourne un feuillet avec dépit, et aperçoit le signe de l'Esprit de la terre.)
Quelle émotion différente produit en moi ce nouveau signe! Esprit de la terre, tu es près de moi je sens mes forces s'accroître; il semble qu'une liqueur spiritueuse coule dans mes veines et me brûle; j'aurais le courage de me lancer dans le monde, de supporter les malheurs et les prospérités d'ici-bas, de lutter contre l'orage, et de ne point pâlir aux craquements du vaisseau qui se brise... Des nuages s'amoncèlent au-dessus de moi... la lune cache sa lumière... la lampe fume... elle s'éteint... des rayons ardents ceignent ma tête, et se meuvent lentement dans les ténèbres... un frisson d'épouvante s'empare de moi... les voûtes paraissent descendre, et me presser de toute leur masse... Oui, je le sens, tu nages autour de moi, Esprit que j'ai invoqué... Dévoile-toi!... Ah! quels déchirements dans mon cœur! Mes sens s'ouvrent à des impressions nouvelles... Tout mon cœur est à toi, je me dévoue à toi; parais! Parais, te dis-je, m'en coûtât-il la vie!
(Il prend le volume dans sa main, et fixant ses yeux sur le signe de l'Esprit, il prononce certaines paroles. Une flamme rouge s'allume tout-à-coup: L'ESPRIT paraît dans la flamme.)
L'ESPRIT.
Qui m'appelle?
FAUST détournant la tête.
Vision terrible!
L'ESPRIT.
Tu m'as puissamment attiré tes lèvres, sur ma sphère, ont aspiré long-temps et maintenant...
FAUST.
Ah! je ne puis soutenir ton aspect.
L'ESPRIT.
Tu souhaitais ardemment de me voir, d'ouïr ma voix, de contempler mon visage. Je me rends au vœu pressant de ton cœur, me voici! Quelle ignoble frayeur t'a saisie, ô créature surhumaine! Qu'est devenu l'élan de ton âme? Où est cette âme ambitieuse, qui se créait un monde, qui le portait en elle, et le caressait avec amour; cette âme qui, saisie d'un tremblement de joie, aspirait à nous égaler, nous autres Esprits? Où es-tu, Faust? Toi dont la voix m'a frappé, toi 'qui t'es élancé jusqu'à moi de toutes les forces de ton être; est-ce bien toi, qui, jouet de mon souffle, trembles maintenant dans les profondeurs de la vie, vermisseau timide et rampant?
FAUST.
Me siérait-il de te céder, flamme légère? Je le suis; oui, je suis Faust, je suis ton égal!
L'ESPRIT.
Plongé dans les flots de la vie et dans le tumulte d'une activité sans limites, je vais et reviens, je monte et retombe sans cesse, en me jouant. Ma sphère, c'est la naissance et la mort; éternelles ondulations, trame changeante, dont je forme au métier du temps les tissus impérissables; vivant manteau de la Divinité.
FAUST.
O toi, qui circules ainsi autour du vaste monde, Esprit actif, que je me sens près de toi!
L'ESPRIT.
Tu es semblable à l'Esprit que tu conçois, mais non pas à moi!
(Il disparaît.)
FAUST tombant à la renverse.
Pas à toi! Et à qui donc? Moi, l'image de la Divinité, je ne suis pas seulement semblable à toi? (On frappe.) Malédiction... voici, je crois, mon domestique: tout mon bonheur retourne à rien. Dieu! qu'une vision si belle, un malheureux valet la fasse évanouir!
(WAGNER, en robe de chambre et en bonnet de nuit, une lampe à la main.–Faust se détourne avec humeur.)
WAGNER.
Pardon! c'est que je vous ai entendu déclamer. Vous lisiez sans doute quelque tragédie grecque, et j'aurais envie de me pousser dans l'art de la déclamation; car il est fort utile aujourd'hui. J'ai souvent ouï dire qu'un comédien pouvait en remontrer à un prêtre.
FAUST.
Oui, quand le prêtre est un comédien; comme cela peut arriver dans nos temps.
WAGNER.
Ah! si l'on est ainsi relégué au fond de son cabinet, et qu'on voie le monde à peine en un jour de fête, à travers une lunette, et seulement de loin, comment apprendre à le conduire par la persuasion?
FAUST.
Vous ne le saurez jamais, si vous ne sentez rien, si votre âme, vivement émue, ne peut tirer de son propre fonds de quoi remuer, à leur tour, les âmes de tous les assistants. Courbez-vous sur votre table; puis, après avoir ramassé sur celle d'autrui les restes d'un repas splendide, amalgamez tout cela, pour en composer un ragoût; à force de souffler sur votre amas de cendre, faites-en sortir une misérable flamme: vous aurez l'admiration des enfants et des singes, si vous en êtes friand. Mais, pour agir sur le cœur des hommes, il faut une éloquence qui parte du cœur.
WAGNER.
C'est pourtant le débit qui fait le succès de l'orateur; je le sens bien, et je suis encore loin de compte.
FAUST.
Laisse là de telles folies, et cherche à gagner ton pain honnêtement. Tous ces grelots ne font qu'ébranler l'air, et ne servent de rien. La raison et le bon sens demandent-ils tant d'art? Et, quand on a quelque chose à dire, pourquoi courir après les mots? Va, tous ces beaux discours si brillants, où l'on fait sonner si haut les bagatelles humaines, sont aussi stériles que le vent d'automne, qui passe en murmurant à travers les feuilles desséchées.
WAGNER.
Mon Dieu! l'art est si long, et notre vie est si courte! Moi, au milieu de mes travaux, il me prend souvent un mal de tête, un mal de cœur... que je n'y peux plus tenir. Combien il est difficile de parvenir aux sources mêmes de la science! C'est qu'avant d'avoir fait la moitié du chemin, un pauvre diable peut très-bien mourir.
FAUST.
Mais y penses-tu, de t'imaginer que d'un vil parchemin puisse jaillir cette fontaine sacrée, où la soif de notre âme s'étanchera pour jamais? Si la consolation ne descend de ton propre cœur, tu n'es pas consolé.
WAGNER.
Pardonnez-moi; il y a déjà une grande jouissance à se transporter dans l'esprit des siècles écoulés, à voir comment a pensé un homme sage avant nous, et comment nous l'avons dépassé de si loin.
FAUST.
Oh! oui, jusqu'aux étoiles! Mon ami, les siècles écoulés sont pour nous le livre aux sept sceaux. Ce que vous appelez l'esprit des siècles, n'est au fond que l'esprit des auteurs, dans lequel les siècles se réfléchissent tant bien que mal; et le plus souvent, c'est une pitié! Le premier coup-d'œil suffirait pour faire fuir à cent lieues. On dirait un sac à immondices, un vieux garde-meuble, ou, tout au plus, quelqu'une de ces farces de carrefours entrelardées de belles maximes de morale, comme on en met dans la bouche des marionnettes.
WAGNER.
Mais pourtant, le monde, l'esprit et le cœur des hommes; il est naturel que chacun en veuille savoir quelque chose.
FAUST.
Oui, ce qu'on appelle savoir. Qui peut se flatter de donner à un enfant son vrai nom? Le peu d'hommes qui ont su quelque chose avec certitude, et qui n'ont pas eu la sagesse de le garder pour eux, ceux qui ont déclaré au peuple leurs sentiments et leurs vues, on les a de tout temps crucifiés et brûlés... Mais retire-toi, je te prie la nuit est avancée, nous en resterons là pour cette fois.
WAGNER.
C’est un échantillon gratuit. S'il vous plaît acheter la version complète du livre pour continuer.
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