L’abîme - Charles Dickens, Wilkie Collins - ebook

L’abîme ebook

Dickens Charles, Collins Wilkie

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Opis

L’abîme est une piece de théâtre écrite des deux géants de la littérature: Charles Dickens et Wilkie Collins. L’histoire combine le secret de Collin avec la satire de Dickens, ce qui la rend tres intéressante. L’histoire commence avec le personnage principal, Walter Wilding, pleurant la mort de sa mere et réorganisant son foyer. Cependant, lors de ces tristes événements, il apprend des nouvelles surprenantes de son passé, ce qui entraîne une chaîne d’événements assez complexe.

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Charles Dickens

L’abîme

Varsovie 2019

Table des matières

OUVERTURE

PREMIER ACTE

Le rideau se lève

La femme de charge entre

La femme de charge parle

Nouveaux personnages en scène

Sortie de Wilding

DEUXIÈME ACTE

Vendale se déclare

Vendale se décide

TROISIÈME ACTE

Dans la vallée

Sur la montagne

QUATRIÈME ACTE

L'horloge de sûreté

Victoire d'Obenreizer

Le rideau tombe

FIN

OUVERTURE

Quel jour du mois et de l'année? Le 13 Novembre 1835. Quelle heure? Dix heures du soir sonnant à la grande horloge de St. Paul.

En même temps toutes les églises de la ville ouvrent leurs gosiers de bronze et forcent leurs voix. Quelques-unes ont inconsidérément commencé de chanter avant la Cathédrale; d'autres n'y vont pas si vite et sont en retard de quatre, de six coups sur la grosse cloche. Cependant toutes se suivent d'assez près pour laisser ensemble dans l'air une même résonance longue et plaintive. On dirait que le père ailé qui dévore ses enfants décrit une courbe retentissante, avec sa faux gigantesque, au-dessus de la Cité.

Quelle est cette cloche plus sourde et plus triste que toutes les autres, plus proche aussi de notre oreille?... Ce soir-là elle retarde si fort que ses vibrations persistent seules, longtemps après que tout autre son s'est éteint dans l'air. C'est la cloche de l'Hospice des Enfants Trouvés.

Jadis les enfants y étaient reçus sans enquête. Un tour pratiqué dans la muraille s'ouvrait et se refermait discrètement. Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. On prend des informations sur les pauvres petits hôtes, on les reçoit par faveur des mains de leurs mères. Ces malheureuses mères doivent renoncer à les revoir, à les réclamer même, et cela pour jamais! Ce soir, la lune est dans son plein, la nuit est assez douce. La journée n'a pourtant pas été belle; la boue épaissie par les larmes du brouillard recouvre les rues d'une couche noirâtre, et, certes, il faut, pour éviter l'atteinte pénétrante, que la dame voilée qui se promène de long en large soit bien et solidement chaussée.

Elle marche évitant la place des fiacres; on la voit s'arrêter de temps en temps dans l'ombre de la partie occidentale de ce grand mur quadrangulaire, le visage tourné vers une petite porte dérobée. Au-dessus de sa tête se déploie le ciel pur, éclairé par cette lune brillante, les souillures du pavé s'étendent sous ses pas, et son esprit est divisé entre des pensées bien différentes, les unes presque heureuses, les autres cruelles. Son cœur ne lui parle point le même langage que l'expérience impitoyable; l'empreinte de ses pieds se succédant aux mêmes places dans cette boue noire a fini par y tracer comme un labyrinthe: ne serait-ce point là l'image de sa vie, des obstacles que le hasard a dressés devant elle, et du dédale inextricable où ses fautes l'ont engagée?

La porte dérobée s'ouvrit alors, et une jeune femme sortit de l'Hospice.

La dame voilée se tint d'abord à l'écart, observant de tous ses yeux. Ayant vu la porte se refermer elle se mit à suivre la jeune femme.

Elles traversèrent ainsi deux rues en silence. La dame voilée, enfin, étendit la main vers celle qu'elle suivait et la toucha. La jaune femme s'arrêta, tout effrayée et se retourna.

–Vous m'avez déjà touchée hier soir,–s'écria-t-elle,–et, lorsque j'ai tourné la tête, vous avez refusé de me parler. Pourquoi me suivez-vous comme un fantôme?

–Je n'ai pas refusé de vous parler,–murmura la dame.–J'ai bien essayé de le faire; mais alors je n'ai pu...

–Que voulez-vous de moi?... Je ne vous ai jamais fait de mal?

–Jamais.

–Je ne crois pas vous connaître?

–Vous ne me connaissez pas.

–Que puis-je donc, pour vous être utile?

–Il y a deux guinées dans ce papier. Acceptez mon pauvre petit présent, et je vous le dirai.

La jeune femme, qui avait bien le plus honnête visage du monde, rougit vivement.

–Je suis Sally,–dit-elle.–Dans ce grand établissement, auquel j'appartiens, il n'y a pas une grande personne ni un enfant qui n'ait toujours une bonne parole pour Sally. On n'aurait pas pris une si bonne opinion de moi, si l'on me croyait capable de me vendre.

–Hélas!–fit la dame,–je ne songe pas à vous acheter. Je voulais seulement vous offrir une légère récompense.

Avec fermeté, mais sans aigreur, Sally repoussa la main qui lui présentait l'offrande.

–S'il y a quelque chose que je puisse faire pour vous obliger,–dit-elle,–vous vous trompez en pensant que je le ferai pour de l'argent. Que désirez-vous?

–Vous êtes l'une des gardiennes ou des employées de l'Hospice. Je vous en ai vue sortir hier et ce soir.

–Je suis Sally, madame; je suis Sally.

–Votre visage annonce la patience et la douceur, je suis sûre que les enfants s'attachent tout de suite à vous.

–Pauvres chéris!... c'est vrai, madame.

La dame releva son voile. Elle n'était guère moins jeune que Sally. Certes sa figure avait quelque chose de bien plus aristocratique et décelait une intelligence bien plus ouverte: mais aussi comme elle était pâle et fatiguée!

–Je suis la malheureuse mère d'un enfant confié à vos soins,–balbutia-t-elle,–et je veux vous adresser une prière!...

Sally alors, touchée de la confiance que la pauvre femme lui avait montrée en écartant son voile, Sally, dont les actions étaient toujours simples et pleines de bonté, replaça la voile sur ce visage pâle et se mit à pleurer.

–Vous écouterez ma prière,–lui dit la dame,–Vous ne serez point insensible aux angoisses d'une infortunée qui vous supplie?...

–Oh! chère... bien chère...–s'écria la bonne Sally.–Que faut-il vous dire? Et que puis-je faire? Ne parlez pas de prière, au moins... Nos prières ne doivent s'élever que vers notre Père à tous: on n'en adresse point à une pauvre fille comme moi. D'ailleurs je vais quitter l'Hospice; je n'y resterai plus que six mois, jusqu'à ce qu'une autre jeune femme ait été mise au courant de mon service et soit prête à me remplacer. Je vais me marier, madame. Je ne serais pas sortie ce soir si mon Dick... c'est celui que je dois épouser... n'était malade. J'aiderai sa mère et sa sœur à le veiller cette nuit. Ne vous affligez pas si fort.

–Ah! bonne Sally... chère Sally... vous êtes pleine d'espérance, et depuis longtemps l'espérance s'est éteinte devant mes yeux. La vie s'offre à vous belle et paisible, vous deviendrez une femme respectée et sans doute une tendre et orgueilleuse mère. Vous êtes une femme aimante et vivante... Et moi, il faut que je meure!... Écoutez, écoutez-moi, je vous en prie.

–Mon Dieu!–s'écria Sally,–que dois-je donc faire? Voyez comme vous vous servez de mes propres paroles contre moi. Je vous ai dit que j'étais sur le point de me marier, afin de vous faire mieux comprendre que j'allais quitter cette maison et que je ne pouvais vous être d'aucun secours, pauvre femme!... Et vous voudriez à présent me persuader que j'ai tort de me marier et que je suis cruelle en refusant de vous servir. Ce n'est pas bien!... Allons, est-ce que cela est bien, madame?

–Sally, ma bonne Sally, ce n'est point dans l'avenir que je vous demande de m'aider, oh! non, ce n'est pas dans l'avenir. Ma prière ne regarde que le passé, je n'attends de vous que deux mots.

–Là,–s'écria Sally,–voilà qui va de mal en pire. Si je ne comprenais pas quels sont ces deux mots que vous voulez savoir...

–Vous le comprenez, Sally. Quels sont les noms que l'on a donnés à mon pauvre baby?... Quels sont ces noms? Je ne vous en demande pas davantage; j'ai lu la règle de la maison. Il a été baptisé dans la chapelle et enregistré dans le grand-livre. C'était Lundi soir... Comment l'a-t-on appelé?

Elle se mit à genoux devant Sally,–à genoux dans la boue épaisse de cette petite rue déserte et sans issue qui conduisait aux jardins de l'Hospice; elle se serait roulée sur le pavé dans la véhémence et la folie de son désespoir, si la bonne Sally ne l'eût relevée.

–Oh! non... non!...–s'écria cette chère fille,–vous me donnez envie de faire une bonne action. Laissez-moi regarder encore votre jolie figure; mettez vos mains dans les miennes... Jurez-moi que vous ne me demanderez rien de plus que ces deux mots.

–Jamais... jamais je ne vous demanderai autre chose.

–Et si je les dis, ces noms, vous n'en ferez pas un mauvais usage? Vous ne ferez pas tourner cette révélation contre moi?

–Jamais!... Jamais!...

–Walter Wilding.

La dame jeta sa tête sur le sein de la jeune fille, la tint un moment embrassée, et murmura une bénédiction fervente.

–Embrassez-le pour moi!–fit-elle.

Et elle disparut.

Quel jour du mois et de l'année? Le premier Dimanche d'Octobre 1847. Quelle heure à Londres? Une heure et demie de l'après-midi à la grande horloge de St. Paul.

Aujourd'hui l'horloge de l'Hospice des Enfants Trouvés marche de conserve avec celle de la Cathédrale. Le service est fini dans la chapelle et les Enfants Trouvés sont à dîner.

Il y a comme toujours beaucoup de monde à ce dîner; deux ou trois directeurs, des familles entières de paroissiens, et quelques curieux. Un doux soleil d'automne pénètre dans la salle. Ces grandes fenêtres, ces murailles sombres sur lesquelles les rayons vont se jouant, sont des choses qu'Hogarth aimait à reproduire dans ses tableaux.

Le réfectoire des filles (la division des filles comprend aussi celle des plus jeunes enfants) est le principal attrait de curiosité pour l'assistance. Des valets d'une propreté rare glissent autour des tables silencieuses. Les curieux vont et viennent à leur guise et font tout bas entre eux plus d'un commentaire sur la figure de ce numéro qui est là-bas près de la fenêtre. C'est que beaucoup de ces physionomies expansives ont un caractère qui mérite de fixer l'attention. Il y a parmi les assistants des visiteurs habituels qui connaissent les hôtes du lieu. On les voit s'arrêter à une place marquée, se pencher, et dire quelques mots à l'oreille de l'un des enfants. Ce n'est point médire que de remarquer en passant qu'ils s'adressent surtout à ceux qui ont un joli visage... Tout le monde circule, chuchote, s'anime, et la monotonie de ces longues salles moroses en est quelque peu rompue.

Une dame voilée, que personne n'accompagne, s'avance au milieu de la foule. On ne peut douter en la voyant qu'elle ne vienne à l'Hospice pour la première fois. Sans doute la curiosité ni l'occasion ne l'avaient jamais amenée dans ce triste séjour, et ce spectacle semble la troubler un peu. Elle fait le tour des tables, sa démarche est incertaine, et son attitude tremblante. Elle va, cherchant son chemin qu'elle ne veut pas demander, elle arrive au réfectoire des petits garçons. Pauvres petits, ils sont moins recherchés que les filles; point de visiteurs autour d'eux: les yeux humides de la dame voilée plongent dans la salle.

Justement, sur le seuil de la porte, se trouvait une employée d'un certain âge, respectable matrone, femme de charge, utile à tout. C'est à elle que la dame s'adresse.

–Vous avez beaucoup de petits garçons ici?–dit-elle.–À quel âge les fait-on entrer dans le monde?... Se prennent-ils souvent de passion pour la mer?–Et puis d'une voix étouffée:–Savez-vous lequel est Walter Wilding?

La matrone sentit avec quelle ardeur brûlante les yeux de l'étrangère s'attachaient sur les siens, à travers le voile épais. Aussi baissa-t-elle la tête, n'osant la regarder à son tour.

–Je sais lequel est Walter Wilding,–dit-elle–Mais mon devoir m'interdit de faire connaître aux visiteurs le nom de nos enfants.

–Ne pouvez-vous seulement me le montrer sans rien me dire?–répliqua la dame voilée.

Sa main allait en même temps chercher celle de la femme et la serrait de toute sa force.

–Je vais passer autour des tables,–dit tout bas la matrone sans avoir l'air de s'adresser à la visiteuse.–Suivez-moi des yeux. Le petit garçon près duquel je m'arrêterai et à qui je parlerai tout à l'heure, ne sera pour vous qu'un étranger comme tous les autres; mais celui que je toucherai en passant sera Walter Wilding. Ne me dites plus rien et éloignez-vous.

La dame voilée obéit, avança de quelques pas dans la salle, les yeux fixés sur la matrone.

Celle-ci, d'un air officiel et grave, marche en dehors des tables en commençant par la gauche. Elle suit la ligne entière, tourne, et revient à l'intérieur des rangs et, jetant un regard furtif du côté de la dame voilée, s'arrête auprès d'un enfant, se baisse, et lui parle. L'enfant lève la tête et répond. Elle l'écoute d'un air naturel, en souriant, et pose en même temps sa main sur l'épaule du petit garçon assis à droite. Tandis qu'elle continue de causer avec l'autre, elle fait à celui-ci quelques caresses sans lui rien dire; puis elle achève sa tournée le long des tables sans toucher aucun autre enfant et sort de la salle.

Le dîner est fini, la dame voilée s'avance à son tour, par le chemin indiqué, en dehors des tables, en commençant par la gauche. Elle suit la longue rangée extérieure, tourne, et revient sur ses pas. Par bonheur pour elle, d'autres personnes viennent d'entrer par hasard et sans but. Elle ne se voit plus seule dans la salle; et, moins alarmée, elle relève son voile et, s'arrêtant devant le petit garçon que la matrone a touché:–Quel âge avez-vous?–dit-elle.

–Douze ans, madame,–répond l'enfant étonné, en levant ses beaux grands yeux vers elle.

–Êtes-vous heureux et content?

–Oui, madame.

–Pouvez-vous accepter ces bonbons?

–S'il vous plaît de me les donner.

Elle se penche pour les lui remettre et touche de son front et de ses cheveux la figure de l'enfant. Alors, baissant de nouveau son voile, elle passe.

Elle passe bien vite et s'enfuit sans regarder en arrière.

PREMIER ACTE

Le rideau se lève

Au fond d'une cour de la Cité de Londres, dans une petite rue escarpée, tortueuse, et glissante, qui réunissait Tower Street à la rive de la Tamise, se trouvait la maison de commerce de Wilding et Co., marchands de vins. L'extrémité de la rue par laquelle on aboutissait à la rivière (si toutefois on avait le sens olfactif assez endurci contre les mauvaises odeurs pour tenter une telle aventure) avait reçu le nom d'Escalier du Casse Cou. La cour elle-même n'était pas communément désignée d'une façon moins pittoresque et moins comique: on l'appelait le Carrefour des Écloppés[1].

Bien des années auparavant, on avait renoncé à s'embarquer au pied de l'Escalier du Casse Cou et les mariniers avaient cessé d'y travailler. La petite berge vaseuse avait fini par se confondre avec la rivière; deux ou trois tronçons de pilotis, un anneau, et une amarre en fier rouillé, voilà tout ce qui restait de la splendeur du Casse Cou. Il arrivait pourtant encore de temps à autre qu'une barque chargée de houille vint y aborder violemment. Quelques vigoureux chargeurs surgissaient alors de la vase, déchargeaient le bateau, transportaient le charbon dans le voisinage; et puis on ne les voyait plus. D'ordinaire le seul mouvement commercial de l'Escalier du Casse Cou, c'était le transport des tonneaux pleins et des bouteilles vides remplissant et désemplissant les caves, entrant et sortant à grand bruit, chez Wilding et Co., marchands de vins. Encore ce mouvement n'était-il pas de tous les goûts, et pendant trois marées sur quatre, la sale eau grise de la rivière venait solitairement battre de son écume et de sa vase l'amarre et l'anneau rouillé. On eût dit que Madame la Tamise, ayant entendu parler du Doge et de l'Adriatique, voulait, elle aussi, s'unir, au moyen de cet anneau, à son Doge, le Très Honorable Lord Maire, le grand conservateur de sa corruption et de ses souillures.

Vers la droite, à quelque deux cents mètres sur le monticule opposé, (touchant au bas de l'Escalier fantastique), on trouvait le Carrefour des Écloppés. Il appartenait tout entier à Wilding et Co., ce coin sordide. Leurs caves étaient creusées par-dessous, leur maison s'élevait par-dessus. Cette maison avait été réellement une habitation autrefois; on voyait encore au-dessus de sa porte un antique auvent sans support, ce qui était naguère l'ornement obligé de toute demeure habitée par un bourgeois de Londres. Une longue rangée de petites fenêtres étroites perçait cette morne façade de briques et la rendait symétriquement disgracieuse; au-dessus de tout on avait perché certaine coupole, où se balançait une cloche.

–Monsieur Bintrey,–dit Walter Wilding,–pensez-vous qu'un homme de vingt-cinq ans qui peut se dire en mettant son chapeau: ce chapeau couvre la tête du propriétaire de cette propriété et le maître des affaires qui se font dans la maison, pensez-vous que cet homme, sans être orgueilleux, n'ait point le droit de se déclarer satisfait de lui-même; le pensez-vous?

Ainsi s'exprimait Walter Wilding dans son propre bureau, s'adressant à son homme de loi, et tout de suite, pour joindre l'action à la parole, il prit son chapeau, s'en coiffa, et remit ensuite ce meuble où il l'avait pris. Il fit tout cela sans outrepasser les bornes de la modestie qui lui était naturelle, car il était né modeste.

C'était un homme à l'air simple et franc, le plus naïf des hommes, que Walter Wilding, avec son teint blanc et rose et son heureuse corpulence, étonnante chez un garçon de vingt-cinq ans. Ses cheveux bruns frisaient avec grâce, ses beaux yeux bleus avaient un attrait extraordinaire. Le plus communicatif des hommes aussi bien que le plus candide, jamais il ne trouvait assez de paroles pour épancher sa gratitude et sa joie quand il croyait avoir quelque motif d'être reconnaissant ou joyeux.

Bintrey, au contraire, était un prudent compagnon, la réserve même. Ses yeux pouvaient être comparés à deux petits globules clignotants qui sortaient de deux grosses paupières au milieu d'une grosse tête chauve. En ce moment, Wilding le réjouissait fort, il trouvait que le franc langage du jeune homme et la simplicité de son cœur étaient deux choses bien comiques.

–Oui,–dit-il,–je pense que vous avez le droit d'être satisfait... Oui, vraiment... Ah! ah!

Il y avait sur le bureau, des biscuits, une carafe, et deux verres.

–Aimez-vous le vieux Porto de quarante-cinq ans?–dit Wilding.

–Si je l'aime?–répéta Bintrey,–mais vous m'en avez fait assez boire...

–C'est du meilleur coin de notre meilleure cave,–s'écria Wilding.

–Eh! oui. Je vous remercie, monsieur... excellent vin!

Puis il se mit à rire de nouveau tout en élevant son verre et lui faisant les doux yeux. Il lui paraissait aussi bien plaisant qu'on pût se séparer sans regret d'un pareil vin et surtout le faire boire gratis à personne.

–Maintenant,–reprit Wilding, qui apportait jusque dans la discussion des affaires une gaieté d'enfant,–je crois que nous avons tout arrangé, Monsieur Bintrey, et le mieux du monde.

–Le mieux du monde,–reprit Bintrey.

–Nous nous sommes assuré un associé.

–Oui, nous nous sommes assuré un associé!... Oui, vraiment!

–Nous demandons dans les journaux une femme de charge.

–Une femme de charge... nous la demandons dans les journaux. «S'adresser au Carrefour des Écloppés, Great Tower Street, de dix heures à midi.» Voilà l'annonce.

–Les affaires de feu ma pauvre mère sont réglées,–dit Walter.

–Réglées,–fit l'écho.

–Et tous les frais payés.

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