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Un bon roman d’aventure fantastique, généreusement parfumé avec des excursions dans l’histoire de l’Inde. La «maison à vapeur» diffère de la plupart des œuvres de Jules Verne en ce que l’auteur ne se concentre pas tant sur les faits saillants géographiques et les inventions fantastiques que sur l’histoire du territoire à l’étude. Jules Verne raconte au lecteur le règne de l’Angleterre en Inde, l’histoire d’un massacre grandiose, un soulèvement de sepoyah au cours duquel les Britanniques ont presque perdu leur colonie.
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Jules Verne
La Maison à vapeur
Varsovie 2019
Table des matières
Voyage à travers l’Inde septentrionale (1880)
Une tête mise à prix
Le colonel Munro
La révolte des Cipayes
Au fond des caves d’Ellora
Le Géant d’Acier
Premières étapes
Les pèlerins du Phalgou
Quelques heures à Bénarès
Allahabad
Via Dolorosa
Le changement de mousson
Triples feux
Prouesses du capitaine Hod
Un contre trois
Le pâl de Tandit
La Flamme Errante
Notre sanitarium
Mathias Van Guitt
Le kraal
Une reine du Tarryani
Attaque nocturne
Le dernier adieu de Mathias Van Guitt
Le passage de la Betwa
Hod contre Banks
Cent contre un
Le lac Puturia
Face à face
À la bouche d’un canon
Géant d’Acier !
Le cinquantième tigre du capitaine Hod
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE I
Une tête mise à prix.
Une prime de deux mille livres est promise à quiconque livrera, mort ou vif, l'un des anciens chefs de la révolte des Cipayes, dont on a signalé la présence dans la présidence de Bombay, le nabab Dandou-Pant, plus connu sous le nom de...»
Telle est la notice que les habitants d'Aurungabad pouvaient lire dans la soirée du 6 mars 1867.
Le dernier nom,–un nom exécré, à jamais maudit des uns, secrètement admiré des autres,–manquait à celle de ces notices qui avait été récemment affichée sur la muraille d'un bungalow en ruines, au bord de la Doudhma.
Si ce nom manquait, c'est que l'angle inférieur de l'affiche où il était imprimé en grosses lettres venait d'être déchiré par la main d'un faquir, que personne n'avait pu apercevoir sur cette rive alors déserte. Avec ce nom avait également disparu le nom du gouverneur général de la présidence de Bombay, contresignant celui du vice-roi des Indes.
Quel avait donc été le mobile de ce faquir? En lacérant cette notice, espérait-il que le révolté de 1857 échapperait à la vindicte publique et aux conséquences de l'arrêt pris contre sa personne? Pouvait-il croire qu'une si terrible célébrité s'évanouirait avec les fragments de ce bout de papier réduit en poussière?
C'eût été folie.
En effet, d'autres affiches, répandues à profusion, s'étalaient sur les murs des maisons, des palais, des mosquées, des hôtels d'Aurungabad. De plus, un crieur parcourait les rues de la ville, lisant à haute voix l'arrêté du gouverneur. Les habitants des plus infimes bourgades de la province savaient déjà que toute une fortune était promise à quiconque livrerait ce Dandou-Pant. Son nom, inutilement anéanti, allait courir avant douze heures la présidence tout entière. Si les informations étaient exactes, si le nabab avait réellement cherché refuge en cette partie de l'Indoustan, nul doute qu'il ne tombât sous peu entre des mains fortement intéressées à en opérer la capture.
À quel sentiment avait donc obéi ce faquir, en lacérant une affiche, tirée déjà à plusieurs milliers d'exemplaires?
À un sentiment de colère, sans doute,–peut-être aussi à quelque pensée de dédain. Quoi qu'il en soit, après avoir haussé les épaules, il s'enfonça dans le quartier le plus populeux et le plus mal habité de la ville.
On appelle Dekkan cette large portion de la péninsule indienne comprise entre les Ghâtes occidentales et les Ghâtes de la mer du Bengale. C'est le nom communément donné à la partie méridionale de l'Inde, en deçà du Gange. Ce Dekkan, dont le nom sanscrit signifie «Sud», compte, dans les présidences de Bombay et de Madras, un certain nombre de provinces. L'une des principales est la province d'Aurungabad, dont la capitale fut même autrefois celle du Dekkan tout entier.
Au XVIIe siècle, le célèbre empereur mongol Aureng-Zeb transporta sa cour dans cette ville, qui était connue aux premiers temps de l'histoire de l'Indoustan sous le nom de Kirkhi. Elle possédait alors cent mille habitants. Aujourd'hui, elle n'en a plus que cinquante mille, sous la domination des Anglais, qui l'administrent pour le compte du Nizam d'Haiderabad. Cependant, c'est une des cités les plus saines de la péninsule, épargnée jusqu'ici par le redoutable choléra asiatique, et que ne visitent même jamais les épidémies de fièvres, si redoutables dans l'Inde.
Aurungabad a conservé de magnifiques restes de son ancienne splendeur. Le palais du Grand Mogol, élevé sur la rive droite de la Doudhma, le mausolée de la sultane favorite de Shah Jahan, père d'Aureng-Zeb, la mosquée copiée sur l'élégant Tadje d'Agra, qui dresse ses quatre minarets autour d'une coupole gracieusement arrondie, d'autres monuments encore, artistement bâtis, richement ornés, attestent la puissance et la grandeur du plus illustre des conquérants de l'Indoustan, qui porta ce royaume, auquel il joignit le Caboul et l'Assam, à un incomparable degré de prospérité.
Bien que, depuis cette époque, la population d'Aurungabad eût été considérablement réduite, comme il a été dit, un homme pouvait facilement se cacher encore au milieu des types si variés qui la composent. Le faquir, vrai ou faux, mêlé à tout ce populaire, ne s'en distinguait en aucune façon. Ses semblables foisonnent dans l'Inde. Ils forment avec les «sayeds» une corporation de mendiants religieux, qui demandent l'aumône, à pied ou à cheval, et savent l'exiger, lorsqu'on ne la fait pas de bonne grâce. Ils ne dédaignent pas non plus le rôle de martyrs volontaires, et jouissent d'un grand crédit dans les basses classes du peuple indou.
Le faquir dont il s'agit était un homme de haute taille, ayant plus de cinq pieds neuf pouces anglais. S'il avait dépassé la quarantaine, c'était d'un an ou deux, tout au plus. Sa figure rappelait le beau type maharatte, surtout par l'éclat de ses yeux noirs, toujours en éveil; mais on eût difficilement retrouvé les traits si fins de sa race sous les mille trous de petite vérole qui lui criblaient les joues. Cet homme, encore dans toute la force de l'âge, paraissait souple et robuste. Signe particulier, un doigt lui manquait à la main gauche. Avec sa chevelure teinte en rouge, il allait à demi nu, sans chaussures aux pieds, un turban sur la tête, à peine couvert d'une mauvaise chemise de laine rayée, serrée à sa ceinture. Sur sa poitrine apparaissaient en couleurs vives les emblèmes des deux principes conservateur et destructeur de la mythologie indoue, la tête de lion de la quatrième incarnation de Vishnou, les trois yeux et le trident symbolique du farouche Siva.
Cependant, une émotion réelle et bien compréhensible agitait les rues d'Aurungabad, plus particulièrement celles dans lesquelles se pressait la population cosmopolite des bas quartiers. Là, elle fourmillait hors des masures qui lui servent de demeures. Hommes, femmes, enfants, vieillards, Européens ou indigènes, soldats des régiments royaux ou des régiments natifs, mendiants de toutes sortes, paysans des environs, s'abordaient, causaient, gesticulaient, commentaient la notice, supputaient les chances de gagner l'énorme prime promise par le gouvernement. La surexcitation des esprits n'aurait pas été plus vive devant la roue d'une loterie dont le gros lot aurait valu deux mille livres. On peut même ajouter que, cette fois, il n'était personne qui ne pût prendre un bon billet: ce billet, c'était la tête de Dandou-Pant. Il est vrai qu'il fallait être assez chanceux pour rencontrer le nabab, et assez audacieux pour s'emparer de sa personne.
Le faquir,–évidemment le seul entre tous que ne surexcitât pas l'espoir de gagner la prime,–filait au milieu des groupes, s'arrêtant parfois, écoutant ce qui se disait, en homme qui pourrait peut-être en faire son profit. Mais s'il ne se mêlait point aux propos des uns et des autres, si sa bouche restait muette, ses yeux et ses oreilles ne chômaient pas.
«Deux mille livres pour découvrir le nabab! s'écriait celui-ci, en levant ses mains crochues vers le ciel.
–Non pour le découvrir, répondait celui-là, mais pour le prendre, ce qui est bien différent!
–En effet, ce n'est point un homme à se laisser capturer sans se défendre résolument!
–Mais ne disait-on pas dernièrement qu'il était mort de la fièvre dans les jungles du Népaul?
–Rien de tout cela n'est vrai! Le rusé Dandou-Pant a voulu se faire passer pour mort, afin de vivre avec plus de sécurité!
–Le bruit avait même couru qu'il avait été enterré au milieu de son campement sur la frontière!
–Fausses obsèques, pour donner le change!» Le faquir n'avait pas sourcillé en entendant affirmer ce dernier fait d'une façon qui n'admettait aucun doute. Cependant, son front se plissa involontairement, lorsqu'il entendit un Indou,–l'un des plus surexcités du groupe auquel il s'était mêlé,–donner les détails suivants, détails trop précis pour ne pas être véridiques: «Ce qui est certain, disait l'Indou, c'est qu'en 1859, le nabab s'était réfugié avec son frère Balao Rao et l'ex-rajah de Gonda, Debi-Bux-Singh, dans un camp, au pied d'une des montagnes du Népaul. Là, pressés de trop près par les troupes anglaises, tous trois résolurent de franchir la frontière indo-chinoise. Or, avant de la passer, le nabab et ses deux compagnons, afin de mieux accréditer le bruit de leur mort, ont fait procéder à leurs propres funérailles; mais ce qu'on a enterré d'eux, c'est uniquement un doigt de leur main gauche, qu'ils se sont coupé au moment de la cérémonie.
–Et comment le savez-vous? demanda l'un des auditeurs à cet Indou, qui parlait avec tant d'assurance.
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