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Bien que George ait écrit cette œuvre pour son fils, le livre convient à la lecture et à un âge plus avancé. C’est une histoire de gens de l’art qui se soucient de leur talent avec égoïsme et passion, car à cause de cela, ils sont injustes et ingrats. L’histoire de la rivalité éternelle des gens, à savoir que l’envie, la colère et les limites de certaines personnes empêchent des personnes de vivre et de travailler désireuses de travailler et de faire tout ce qu’elles ont à faire.
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George Sand
Les Maîtres sonneurs
Varsovie 2019
Table des matières
À MONSIEUR EUGÈNE LAMBERT
Première veillée
Deuxième veillée
Troisième veillée
Quatrième veillée
Cinquième veillée
Sixième veillée
Septième veillée
Septième veillée
Huitième veillée
Neuvième veillée
Dixième veillée
Onzième veillée
Douzième veillée
Treizième veillée
Quatorzième veillée
Quinzième veillée
Seizième veillée
Dix-septième veillée
Dix-huitième veillée
Dix-neuvième veillée
Vingtième veillée
Vingt et unième veillée
Vingt-deuxième veillée
Vingt-troisième veillée
Vingt-quatrième veillée
Vingt-cinquième veillée
Vingt-sixième veillée
Vingt-septième veillée
Vingt-huitième veillée
Vingt-neuvième veillée
Trentième veillée
Trente et unième veillée
À MONSIEUR EUGÈNE LAMBERT
Mon cher enfant, puisque tu aimes à m’entendre raconter ce que racontaient les paysans à la veillée, dans ma jeunesse, quand j’avais le temps de les écouter, je vais tâcher de me rappeler l’histoire d’Etienne Depardieu et d’en recoudre les fragments épars dans ma mémoire. Elle me fut dite par lui-même, en plusieurs soirées de breyage; c’est ainsi, tu le sais, qu’on appelle les heures assez avancées de la nuit où l’on broie le chanvre, et où chacun alors apportait sa chronique. Il y a déjà longtemps que le père Depardieu dort du sommeil des justes, et il était assez vieux quand il me fit le récit des naïves aventures de sa jeunesse. C’est pourquoi je le ferai parler lui-même, en imitant sa manière autant qu’il me sera possible. Tu ne me reprocheras pas d’y mettre de l’obstination, toi qui sais, par expérience de tes oreilles, que les pensées et les émotions d’un paysan ne peuvent être traduites dans notre style, sans s’y dénaturer entièrement et sans y prendre un air d’affectation choquante. Tu sais aussi, par expérience de ton esprit, que les paysans devinent ou comprennent beaucoup plus qu’on ne les en croit capables, et tu as été souvent frappé de leurs aperçus soudains qui, même dans les choses d’art, ressemblaient à des révélations. Si je fusse venue te dire, dans ma langue et dans la tienne, certaines choses que tu as entendues et comprises dans la leur, tu les aurais trouvées si invraisemblables de leur part, que tu m’aurais accusée d’y mettre du mien à mon insu, et de leur prêter des réflexions et des sentiments qu’ils ne pouvaient avoir. En effet, il suffit d’introduire, dans l’expression de leurs idées, un mot qui ne soit pas de leur vocabulaire, pour qu’on se sente porté à révoquer en doute l’idée même émise par eux; mais, si on les écoute parler, on reconnaît que s’ils n’ont pas, comme nous, un choix de mots appropriés à toutes les nuances de la pensée, ils en ont encore assez pour formuler ce qu’ils pensent et décrire ce qui frappe leurs sens. Ce n’est donc pas, comme on me l’a reproché, pour le plaisir puéril de chercher une forme inusitée en littérature, encore moins pour ressusciter d’anciens tours de langage et des expressions vieillies que tout le monde entend et connaît de reste, que je vais m’astreindre au petit travail de conserver au récit d’Etienne Depardieu la couleur qui lui est propre. C’est parce qu’il m’est impossible de le faire parler comme nous, sans dénaturer les opérations auxquelles se livrait son esprit, en s’expliquant sur des points qui ne lui étaient pas familiers, mais où il portait évidemment un grand désir de comprendre et d’être compris.
Si, malgré l’attention et la conscience que j’y mettrai, tu trouves encore quelquefois que mon narrateur voit trop clair ou trop trouble dans les sujets qu’il aborde, ne t’en prends qu’à l’impuissance de ma traduction. Forcée de choisir dans les termes usités de chez nous, ceux qui peuvent être entendus de tout le monde, je me prive volontairement des plus originaux et des plus expressifs; mais, au moins, j’essayerai de n’en point introduire qui eussent été inconnus au paysan que je fais parler, lequel, bien supérieur à ceux d’aujourd’hui, ne se piquait pas d’employer des mots inintelligibles pour ses auditeurs et pour lui-même.
Je te dédie ce roman, non pour te donner une marque d’amitié maternelle, dont tu n’as pas besoin pour te sentir de ma famille, mais pour te laisser, après moi, un point de repère dans tes souvenirs de ce Berry qui est presque devenu ton pays d’adoption. Tu te rappelleras qu’à l’époque où je l’écrivais, tu disais: „À propos, je suis venu ici, il y a bientôt dix ans, pour y passer un mois. Il faut pourtant que je songe à m’en aller.” Et comme je n’en voyais pas la raison, tu m’as représenté que tu étais peintre, que tu avais travaillé dix ans chez nous pour rendre ce que tu voyais et sentais dans la nature, et qu’il te devenait nécessaire d’aller chercher à Paris le contrôle de la pensée et de l’expérience des autres. Je t’ai laissé partir, mais à la condition que lu reviendrais passer ici tous les étés. Dès à présent, n’oublie pas cela non plus. Je t’envoie ce roman comme un son lointain de nos cornemuses, pour te rappeler que les feuilles poussent, que les rossignols sont arrivés, et que la grande fête printanière de la nature va commencer aux champs.
george sand.
Nohant, le 17 avril 1853.
LES MAÎTRES SONNEURS
Première veillée
Je ne suis point né d’hier, disait, en 1828, le père Étienne. Je suis venu en ce monde, autant que je peux croire, l’année 54 ou 55 du siècle passé. Mais, n’ayant pas grande souvenance de mes premiers ans, je ne vous parlerai de moi qu’à partir du temps de ma première communion, qui eut lieu en 70, à la paroisse de Saint-Chartier, pour lors desservie par monsieur l’abbé Montpérou, lequel est aujourd’hui bien sourd et bien cassé.
Ce n’est pas que notre paroisse de Nohant fût supprimée dans ce temps-là; mais notre curé étant mort, il y eut, pour un bout de temps, réunion des deux églises sous la conduite du prêtre de Saint-Chartier, et nous allions tous les jours à son catéchisme, moi, ma petite cousine, un gars appelé Joseph, qui demeurait en la même maison que mon oncle, et une douzaine d’autres enfants de chez nous.
Je dis mon oncle pour abréger, car il était mon grand-oncle, frère de ma grand’mère, et avait nom Brulet, d’où sa petite-fille, étant seule héritière de son lignage, était appelée Brulette, sans qu’on fît jamais mention de son nom de baptême, qui était Catherine.
Et pour vous dire tout de suite les choses comme elles étaient, je me sentais déjà d’aimer Brulette plus que je n’y étais obligé comme cousin, et j’étais jaloux de ce que Joseph demeurait avec elle dans un petit logis distant d’une portée de fusil des dernières maisons du bourg, et du mien d’un quart de lieue de pays: de manière qu’il la voyait à toute heure, et qu’avant le temps qui nous rassembla au catéchisme, je ne la voyais pas tous les jours.
Voici comment le grand-père à Brulette et la mère à Joseph demeuraient sous même chaume. La maison appartenait au vieux, et il en avait loué la plus petite moitié à cette femme veuve qui n’avait pas d’autre enfant. Elle s’appelait Marie Picot, et était encore mariable, car elle n’avait pas dépassé de grand’chose la trentaine, et se ressouvenait bien, dans son visage et dans sa taille, d’avoir été une très-jolie femme. On la traitait encore, par-ci, par-là, de la belle Mariton, ce qui ne lui déplaisait point, car elle eût souhaité se rétablir en ménage; mais n’ayant rien que son œil vif et son parler clair, elle s’estimait heureuse de ne pas payer gros pour sa locature, et d’avoir pour propriétaire et pour voisin un vieux homme juste et secourable, qui ne la tourmentait guère et l’assistait souvent.
Le père Brulet et la veuve Picot, dite Mariton, vivaient ainsi en bonne estime l’un de l’autre depuis une douzaine d’années, c’est-à-dire depuis le jour où, la mère à Brulette étant morte en la mettant au monde, cette Mariton avait soigné et élevé l’enfant avec autant d’amour et d’égard que le sien propre.
Joseph, qui avait trois ans de plus que Brulette, s’était vu bercer dans la même crèche, et la pouponne avait été le premier fardeau qu’on eût confié à ses petits bras. Plus tard, le père Brulet, voyant sa voisine gênée d’avoir ces deux enfants déjà forts à surveiller, avait pris chez lui le garçon, si bien que la petite dormait auprès de la veuve et le petit auprès du vieux.
Tous quatre, d’ailleurs, mangeaient ensemble, la Mariton apprêtant les repas, gardant la maison et rhabillant les nippes, tandis que le vieux, qui était encore solide au travail, allait en journée, et fournissait au plus gros de la dépense.
Ce n’est pas qu’il fût bien riche et que le vivre fût bien conséquent; mais cette veuve aimable et de bon cœur lui faisait honnête compagnie, et Brulette la regardait si bien comme sa mère, que mon oncle s’était accoutumé à la regarder comme sa fille ou tout au moins comme sa bru.
Il n’y avait rien au monde de si gentil et de si mignon que la petite fille ainsi élevée par Mariton. Comme cette femme aimait la propreté et se tenait toujours aussi brave que son moyen le lui permettait, elle avait, de bonne heure, accoutumé Brulette à se tenir de même, et, à l’âge où les enfants se traînent et se roulent volontiers comme de petits animaux, celle-ci était si sage, si ragoûtante et si coquette dans toute son habitude, que chacun la voulait embrasser: mais déjà elle se montrait chiche de ses caresses et ne se familiarisait qu’à bonnes enseignes.
Quand elle eut douze ans, c’était déjà comme une petite femme, par moments; et, si elle s’oubliait à gaminer au catéchisme, emportée par la force de son jeune âge, elle se reprenait vitement, comme poussée au respect d’elle-même encore plus que de la religion.
Je ne sais pas si nous aurions pu dire pourquoi, mais tous tant que nous étions de gars assez diversieux au catéchisme, nous sentions la différence qu’il y avait entre elle et les autres fillettes.
Parmi nous, il faut bien vous confesser qu’il y en avait d’un peu grands: mêmement, Joseph avait quinze ans et j’en avais seize, ce qui était une honte pour nous deux, au dire de monsieur le curé et de nos parents. Ce retard provenait de ce que Joseph était trop paresseux pour se mettre l’instruction dans la tête, et moi trop bandit pour y donner attention; si bien que, depuis trois ans, nous étions renvoyés de classe, et, sans l’abbé Montpérou, qui se montra moins exigeant que notre vieux curé, je crois que nous y serions encore.
Et puis, il est juste de confesser aussi que les garçonnets sont toujours plus jeunes en esprit que les fillettes: aussi, dans toute bande d’apprentis chrétiens, on a vu de tout temps la différence des deux espèces, les mâles étant tous grands et forts déjà, et les femelles toutes petites et commençant à peine à porter coiffe.
Au reste, nous arrivions là aussi savants les uns comme les autres, ne sachant point lire, écrire encore moins, et ne pouvant retenir que de la manière dont les petits des oiseaux apprennent à chanter, sans connaître ni plain-chant, ni latin, et à fine force d’écouter de leurs oreilles. Tout de même, monsieur le curé connaissait bien, dans le troupeau, ceux qui avaient l’entendement plus subtil, et qui mieux retenaient sa parole. De ces cervelles fines, la plus fine était la petite Brulette, emmi les filles, et des plus épaisses, la plus épaisse paraissait celle de Joseph, emmi les garçons.
Encore qu’il ne raisonnât pas plus sottement qu’un autre, il était si peu capable d’écouter et de se payer des choses qu’il n’entendait guère, il marquait si peu de goût pour les enseignements, que je m’en étonnais, moi qui y mordais assez franchement quand je venais à bout de tenir mon corps tranquille et de rasseoir mes esprits grouillants.
Brulette l’en grondait quelquefois, mais n’en tirait rien que des larmes de dépit:–Je n’en suis pas plus mécréant qu’un autre, disait-il, et je ne songe point à offenser Dieu; mais les mots ne se mettent point en ordre dans ma souvenance; je n’y peux rien.
–Si fait, disait la petite, qui, déjà, avait avec lui le ton et l’usage du commandement: si tu voulais bien! Tu peux ce que tu veux; mais tu laisses courir ton idée sur toute autre chose, et monsieur l’abbé a bien raison de t’appeler Joseph le distrait.
–Qu’il m’appelle comme il voudra, répondait Joseph, c’est un mot que je n’entends point.
Mais nous l’entendions bien, nous autres, et l’expliquions en notre langage d’enfants, en l’appelant Joset l’ébervigé, d’où le nom lui resta, à son grand déplaisir.
Joseph était un enfant triste, d’une chétive corporence et d’un caractère tourné en dedans. Il ne quittait jamais Brulette et lui était fort soumis: elle le disait, nonobstant, têtu comme un mouton et le réprimandait à chaque moment. Mais encore qu’elle ne me fît pas grand reproche de ma fainéantise, j’aurais souhaité qu’elle s’occupât de moi aussi souvent que de lui.
Malgré cette jalousie qu’il me donnait, j’avais pour lui plus d’égards que pour mes autres camarades, parce qu’il était des plus faibles et moi des plus forts. D’ailleurs, si je ne l’avais soutenu, Brulette m’en aurait beaucoup blâmé; et quand je lui disais qu’elle l’aimait plus que moi qui étais son parent:
–Ce n’est point à cause de lui, disait-elle, c’est à cause de sa mère que j’aime plus que vous deux. S’il prenait du mal, je n’oserais point rentrer à la maison; et comme il ne pense jamais à ce qu’il fait, elle m’a tant enchargée de penser pour deux, que je tâche de n’y point manquer.
J’entends souvent dire aux bourgeois: J’ai fait mes études avec un tel; c’est mon camarade de collége. Nous autres paysans, qui n’allions pas même à l’école dans mon jeune temps, nous disons: J’ai été au catéchisme avec un tel, c’est mon camarade de communion. C’est de là que commencent les grandes amitiés de jeunesse, et quelquefois aussi des haïtions qui durent toute la vie. Aux champs, au travail, dans les fêtes, on se voit, on se parle, on se prend, on se quitte; mais, au catéchisme, qui dure un an et souvent deux, faut se supporter ou s’entr’aider cinq ou six heures par jour. Nous partions en bande, le matin, à travers les prés et les pâtureaux, par les traquettes, par les échaliers, par les traînes, et nous revenions, le soir, par où il plaisait à Dieu; car nous profitions de la liberté pour courir de tous côtés comme des oiseaux folâtres. Ceux qui se plaisaient ensemble ne se quittaient guère, ceux qui n’étaient point gentils allaient seuls ou s’entendaient ensemble pour faire des malices et des peurs aux autres.
Joseph avait sa manière, qui n’était ni terrible ni sournoise, mais qui n’était pas non plus bien aimable. Je ne me souviens point de l’avoir jamais vu bien réjoui, ni bien épeuré, ni bien content, ni bien fâché d’aucune chose qui nous arrivait. Dans les batailles, il ne se mettait point de côté et recevait les coups sans savoir les rendre, mais sans faire aucune plainte. On eût dit qu’il ne les sentait pas.
Quand on s’arrêtait pour quelque amusette, il s’en allait seoir ou coucher à trois ou quatre pas des autres, et ne disant mot, répondant hors de propos, il avait l’air d’écouter ou de regarder quelque chose que les autres ne saisissaient point: c’est pourquoi il passait pour être de ceux qui voient le vent. Brulette, qui connaissait sa lubie et qui ne voulait pas s’expliquer là-dessus, l’appelait quelquefois sans qu’il lui répondît. Alors elle se mettait à chanter, et c’était la manière certaine de le réveiller, comme quand on siffle pour dérouter ceux qui ronflent.
Vous dire pourquoi je me pris d’attache pour un camarade si peu jovial, je ne saurais, car j’étais tout son contraire. Je ne me pouvais point passer de compagnie et j’allais toujours écoutant et observant les autres, me plaisant à discourir et à questionner, m’ennuyant seul et cherchant la gaieté et l’amitié. C’est peut-être à cause de ça que, plaignant ce garçon sérieux et renfermé, je m’accoutumais à imiter Brulette, qui toujours le secouait et; par là, lui rendait plus d’office qu’elle n’en recevait, et supportait son humeur plus qu’elle ne la gouvernait. En paroles, elle était bien la maîtresse avec lui, mais comme il ne savait suivre aucun commandement, c’était elle, et c’était moi par contre-coup, qui étions à sa suite et patientions avec lui.
Enfin, le jour de la première communion arriva, et, en revenant de la messe, j’avais fait si ferme propos de ne me point laisser aller à mes vacarmes, que je suivis Brulette chez son grand-père, comme le plus raisonnable exemple qui me pût retenir.
Tandis qu’elle allait, par commandement de la Mariton, tirer le lait de sa chèvre, nous étions restés, Joseph et moi, dans la chambre où mon vieux oncle causait avec sa voisine.
Nous étions occupés à regarder les images de dévotion que le curé nous avait données en souvenir du sacrement, ou, pour mieux dire, je les regardais seul, car Joseph songeait d’autre chose, et les maniait sans les voir. Or, on ne faisait plus attention à nous, et la Mariton disait à son vieux voisin, à propos de notre première communion:
–Voilà une grande affaire gagnée, et, à cette heure, je pourrai louer mon gars. C’est ce qui me décide à faire ce que je vous ai dit.
Et comme mon oncle secouait la tête tristement, elle reprit:
–Écoutez une chose, voisin. Mon Joset n’a point d’esprit. Oh ça, tant pis, je le sais bien; il tient de défunt son pauvre cher homme de père, qui n’avait pas deux idées par chaque semaine, et qui n’en a pas moins été un homme de bien et de conduite. Mais c’est tout de même une infirmité que d’avoir si peu de suite dans le raisonnement, et quand, par malheur avec ça, on tombe dans le mariage avec une tête folle, tout va au plus mal en peu de temps. C’est pourquoi je m’avise, à mesure que mon garçon grandit par les jambes, que ce n’est point sa cervelle qui le nourrira, et que, si je lui laissais quelques écus, je mourrais plus tranquille. Vous savez le bien que fait une petite épargne. Dans nos pauvres ménages, ça sauve tout. Je n’ai jamais pu rien mettre de côté, et il faut croire que je ne suis plus assez jeune pour plaire, puisque je ne trouve point à me remarier. Eh bien, s’il en est ainsi, la volonté de Dieu se fasse! Je suis toujours assez jeune pour travailler, et puisque m’y voilà, apprenez, mon voisin, que l’aubergiste de Saint-Chartier cherche une servante; il paye un bon gage, trente écus par an! et il y a les profits, qui montent environ à la moitié. Avec ça, forte et réveillée comme je me sens d’être, en dix années, j’aurai fait fortune, je me serai donné de l’aise pour mes vieux jours, et j’en pourrai laisser à mon pauvre enfant. Qu’est-ce que vous en dites?
Le père Brulet pensa un peu et répondit:
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