Atar-Gull. Un Corsaire, Le Parisien en Mer, Voyages et Aventures sur Mer de Narcisse Gelin - Eugène Sue - ebook

Atar-Gull. Un Corsaire, Le Parisien en Mer, Voyages et Aventures sur Mer de Narcisse Gelin ebook

Eugène Sue

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Un Corsaire, Le Parisien en Mer, Voyages et Aventures sur Mer de Narcisse Gelin                                

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Eugène Sue

Atar-Gull

Un Corsaire, Le Parisien en Mer, Voyages et Aventures sur Mer de Narcisse Gelin

Varsovie 2019

Table des matières

À M. Fenimore Cooper

LIVRE I

I. La Catherine

II. L'Ouragan

III. Le Courtier

IV. La Vente

LIVRE II

I. L'Inconnue

II. La Hyène

III. Monsieur Brulart

IV. Arthur et Marie

V. Que le bon Dieu vous punit de faire la traite

LIVRE III

I. Le Faux Pont

II. Atar-Gull

III. Mystère

IV. Opium

LIVRE IV

I. La Frégate

II. Une Ruse

III. Le Colon

IV. Le Père et le Fils

LIVRE V

I. Fête

II. Les Empoisonneurs

III. La veille des Noces

IV. Le Départ

V. Rencontre

VI. Songe

LIVRE VI

I. La rue Tirechape

II. Atar-Gull

III. Le Baptême

IV. Le Prix de Vertu

UN CORSAIRE

LE PARISIEN EN MER

I

II

III

IV

VOYAGES ET AVENTURES SUR MER DE NARCISSE GELIN

I

II

III

À MONSIEUR FENIMORE COOPER

Me pardonnez-vous, Monsieur, de répondre publiquement à la lettre si flatteuse que vous avez bien voulu m’écrire au sujet de mon premier ouvrage?

Cette vanité de jeune homme impatient de mettre tout le monde dans la confidence de sa bonne fortune littéraire est sans doute blâmable; mais, sentant le besoin de donner quelques explications sur ce nouveau livre, j’ai pensé qu’elles acquerraient bien plus d’importance et de valeur en vous étant adressées, à vous, Monsieur, qui avez créé le roman maritime d’une manière si originale et si puissante, et qui partagez avec Goëthe, Byron, Schiller et Walter-Scott le rare et précieux privilège d’être un des types de la littérature étrangère et contemporaine.

Je suis persuadé comme vous, Monsieur, que si l’esprit général de notre nation pouvait arriver peu à peu à comprendre tout ce qu’il y a de forces, de ressources, de moyens de défense ou de conquêtes commerciales dans la marine, la France pourrait devenir l’égale de toute puissance européenne sur l’Océan.

C’est aussi cette conviction profonde, Monsieur, qui m’a donné le courage de publier quelques essais maritimes; car, venant après vous, il fallait un tel mobile pour oser entreprendre une tâche aussi périlleuse.

J’ai long-temps agité la question de savoir si je ne devais pas choisir pour sujet de romans quelques-uns de ces merveilleux faits d’armes si nombreux dans nos annales maritimes; mais j’ai estimé qu’il était mieux de débuter modestement comme peintre de genre.

Et puis aussi que le public, plus familiarisé avec l’idiome, la langue, les habitudes des marins par mes premières esquisses, pourrait prêter une attention moins distraite alors par l’étrangeté de ses mœurs, à une fabulation toute historique, d’une portée plus large et d’un intérêt plus national.

Vous trouverez peut-être, Monsieur, que j’ai bien abusé, dans Atar-Gull, de cette licence que vous nous accordez, de commettre des meurtres flagrants et atroces pour exciter la sensibilité du lecteur; mais je me débattais en vain sous la fatale influence de l’effrayant sujet que j’avais embrassé, et, comme Macbeth, de Shakespeare, ma férocité n’a pas eu de bornes, parce qu’un crime était la conséquence, la déduction logique d’un autre crime.

Aussi, Monsieur, j’ai une terrible crainte de passer pour un homme abominable, faisant de l’horreur à plaisir.

Et pourtant, à la faveur de cette peinture trop exacte (je le crois) de la traite des noirs, de leur esclavage et de ses résultats, j’ai voulu, non élever une polémique bâtarde et usée sur des droits que plusieurs contestent, mais bien poser des faits, des chiffres, au moyen desquels chaque partie adverse pourra établir ses comptes.–L’addition seulement reste à faire.

Maintenant, Monsieur, je vais vous soumettre le plan que j’ai cru devoir suivre pour parfaire ce livre.

Permettez-moi seulement une question.

Ne vous est-il pas souvent arrivé de rencontrer par hasard, dans le monde, un homme que vous ne connaissiez pas, et que vous regardiez pourtant avec une curieuse attention, tant sa physionomie vous frappait?

La tournure originale, incisive de quelques phrases, vous étonnait, et vous écoutiez avidement...–Alors, tombant sous le charme d’une conversation rapide, étincelante, animée, n’éprouviez-vous pas je ne sais quelle sympathie pour cet être si singulier qui, apparaissant là comme isolé au milieu de ce monde bruyant et tumultueux, semblait presque fantastique, tant il y avait d’imprévu, de charme et de mystère dans cette rencontre?...

Et puis, malheur! un importun vous frappait sur l’épaule, vous détourniez la tête avec humeur... et malheur... car l’inconnu était peut-être Byron, Châteaubriand, Bonaparte?

Et il avait disparu... et vous ne le revoyiez plus... plus jamais... Aussi y pensiez vous toujours avec un sentiment de tristesse douce et de regrets... En un mot, cette soirée, cette heure de conversation datait dans votre vie, n’est-ce pas?

Et laissez-moi, Monsieur, citer à l’appui de ceci deux faits personnels; il ne s’agit ici ni de Byron, ni de Châteaubriand, ni de Bonaparte, mais d’hommes qui ne manquaient pas de supériorité.

Un jour, j’étais à Saint-Pierre (Martinique), et comme notre frégate devait mettre le lendemain à la voile, j’allai le soir faire mes adieux à une excellente et digne famille, dont les soins touchants et empressés m’avaient arraché à une mort cruelle;–j’arrivai, et, après quelques moments d’une causerie amicale, on annonça le curé de ***.

Figurez-vous, Monsieur, un homme jeune encore, pâle, le front saillant, des yeux vifs et noirs, une parole sobre et austère, et le ton de la meilleure compagnie.

On parla politique.–Je ne sais par quel misérable préjugé je m’attendais à une discussion étroite et hargneuse, ou à un dédaigneux mutisme de la part du prêtre.–Point: le prêtre causa long-temps, et sa conversation âpre et nerveuse, ses idées claires, fortes et neuves sur les affaires du temps, m’étonnèrent à un point extrême.

–On parla beaux-arts, musique, peinture: même supériorité, même science toujours naïve, saine et vigoureuse... Et je me souviens qu’il nous fit, entre autres choses, une curieuse et poétique dissertation sur l’influence du polythéisme et du christianisme dans les arts, tout à l’avantage de la dernière croyance.

On parla statique, géométrie, mécanique; il en raisonna comme un habile praticien, et le colon chez lequel je me trouvai lui demanda même pourquoi il ne faisait pas exécuter en grand l’admirable moulin à sucre qu’il avait inventé.

Enfin, Monsieur, vaincu par les sollicitations de mon hôte, qui jouissait de ma stupéfaction, nous allâmes au presbytère. Il était, je crois, minuit.

Ici, le prêtre nous chanta de sa musique, nous montra de sa peinture, voulut bien nous lire un de ses livres, un manuscrit remarquable sur la liberté des cultes, nous expliqua ses machines à moudre les cannes singulièrement simplifiées.

Que vous dirai-je, Monsieur? ce prêtre résumait en lui tous les prodiges de l’intelligence et du savoir. Simple, pauvre et bon, d’une infatigable activité d’esprit, ne dormant presque pas, et passant sa vie à fouiller les racines de l’arbre de la science; en un mot c’était presqu’un Faust, à la damnation près (je le suppose du moins).

Enfin, Monsieur, ces heures rapides passèrent; je restai sous le charme jusqu’à trois heures du matin; à cinq heures, j’étais en route pour la Jamaïque, et je ne devais plus revoir ce prêtre singulier, je ne l’ai plus revu; peut-être a-t-il fini ses jours sous le ciel brûlant des tropiques, car sa santé était faible et usée par l’étude... peut-être ce génie ardent et inconnu est enseveli sous une pierre obscure.

Une autre fois, en Grèce, quelques jours avant le combat de Navarin, je vis pendant une heure, à Anti-Paros, un descendant du célèbre Panajotti, favori du visir Kropoli; cet intrépide vieillard avait puissamment contribué au soulèvement de son pays, connu Byron, égalé Canaris; d’une finesse d’esprit exquise, d’un jugement droit et éprouvé, il me parla longuement de la Grèce, et jamais la position vraie de ce malheureux pays, son avenir, ses ressources, n’ont été plus poétiquement exposés que par ce vieux Grec à longs cheveux blancs, au costume pittoresque, assis sur un fragment de marbre aux sculptures effacées, prophétisant l’avenir de cette nation, qui fut toujours un prétexte dans les mains des puissances européennes.

Je quittai, et ne vis plus qu’une fois cet homme extraordinaire: ce fut le lendemain du combat du 20 octobre: il passait rapidement dans un canot le long de notre vaisseau, et se rendait, je crois, auprès de l’amiral, comme envoyé du gouvernement grec.

Cette longue et fatigante digression, Monsieur, tend à établir ceci, que souvent des êtres, tantôt remarquables par une grande puissance d’organisation, tantôt par des vices ou des vertus portés à l’excès... mais toujours frappants, saillants, d’une espèce à part, traversent notre existence, rapides et éphémères; comme ces météores que nous ne voyons qu’un moment, et qui s’éteignent pour toujours.

Or, Monsieur, je me suis demandé pourquoi, dans les romans maritimes, surtout, dont le cercle est immense, dont les scènes sont souvent séparées entre elles par des milliers de lieues, on ne tenterait pas de jeter cet imprévu, ces apparitions soudaines qui brillent un instant et s’effacent pour ne plus reparaître.

Pourquoi, au lieu de suivre cette sévère unité d’intérêt distribué sur un nombre voulu de personnages qui, partant du commencement du livre, doivent, bon gré, malgré, arriver à la fin pour contribuer au dénoûment chacun pour sa quote-part;

Pourquoi, dis-je, en admettant une idée philosophique, ou un fait historique qui traverserait tout le livre, on ne grouperait pas autour des personnages qui, ne servant pas de cortége obligé à l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage, pourraient être abandonnés en route, suivant l’opportunité ou l’exigeante logique des événements.

Alors, Monsieur, le lecteur éprouverait peut-être cette impression que j’ai tâché de rendre sensible, cette impression qui résulte de la subite apparition d’un homme extraordinaire que l’on ne voit qu’une fois et dont on se souvient toujours.

Je sais, Monsieur, qu’il faudrait un prodigieux talent pour arriver à ce résultat, d’attacher l’intérêt du lecteur sur un personnage pendant le tiers de l’action, je suppose, puis de faire disparaître ce personnage et renverser l’intérêt sur celui qui le remplace, afin d’arriver ainsi au dénoûment de l’ouvrage.

Mais s’il était possible de réussir, je crois qu’on aurait surmonté l’écueil inévitable que les romans maritimes semblent offrir par les distances et les événements qui doivent nécessairement rendre l’unité d’intérêt et de lieu au moins bien difficile.

Car enfin, Monsieur, un navire est en route; avant d’arriver à sa destination, il touche dans dix pays différents: là, des mœurs étrangères, insolites, qui n’offrent aucun rapport entre elles, et peut-être là dix actions, dix puissants motifs d’intérêt, de quoi faire un beau livre; le vaisseau part, on ne se revoit plus, les amitiés commençantes sont brisées, l’amour brusquement tranché à sa première phase. Adieu l’unité d’intérêt.

Somme toute, ainsi qu’on l’a déjà dit, n’est-ce pas aussi une unité d’intérêt qu’un fait ou une idée morale, qui, traversant tout un livre, sert de pivot, de lien, aux événements ou aux personnages qui gravitent autour?

Et le roman de marine surtout ne peut-il pas vivre d’épisodes qui seraient déplacés dans tout autre genre de composition?

Je sais qu’il était donné à un talent tel que le vôtre, Monsieur, d’encadrer, de resserrer dans le cycle de l’unité, les scènes immenses que vous avez décrites, et de résoudre un problème insoluble pour tout autre; mais c’est parce que je reconnais l’impossibilité d’atteindre à cette hauteur que je tâche de faire excuser le système contraire que j’ai adopté.

J’ose croire, Monsieur, que vous ne verrez dans tout ceci la moindre idée de fonder, d’établir une théorie quelconque; je vais seulement au-devant de la critique qui pourrait, à juste titre, me reprocher d’avoir essayé de mettre en relief dans ce livre trois personnages au lieu d’un, sur lequel toute l’attention du lecteur devait être concentrée.

Je ne terminerai pas cette trop longue lettre, Monsieur, sans vous exprimer encore toute ma reconnaissance pour les encouragements que vous avez daigné donner à des ébauches bien imparfaites sans doute.

Eugène Sue.

Paris, ce 15 mai 1831.

ATAR-GULL

LIVRE I

CHAPITRE I

Jamais d’enfants, jamais d’épouse! Nul cœur près du mien n’a battu; Jamais une bouche jalouse Ne m’a demandé: „D’où viens-tu?” VICTOR HUGO.–Ode XXI, t. 2.

–Où peut-on être mieux Qu’au sein de sa famille? Vieil air.

LA CATHERINE.

Voyez ce brick, il glisse bien timidement sur la mer des Tropiques, car c’est à peine si cette brise légère et folle peut gonfler ses larges voiles grises.

Écoutez le murmure sourd et mélancolique de l’Océan; on dirait le bruit confus d’une grande cité qui s’éveille; voyez comme les vagues se soulèvent à de longs intervalles et déroulent avec calme leurs immenses anneaux; quelquefois, une mousse blanche et frémissante jaillit du sommet diaphane des deux lames qui se rencontrent, se heurtent, s’élèvent ensemble et retombent en poussière humide après un léger choc.

Oh! qu’elle est scintillante et nacrée cette frange d’écume qui se découpe sur les flancs bruns du navire! comme le cuivre de la carène étincelle en reflets d’or au milieu de ces eaux vertes et limpides! que le soleil brille doucement au travers de ces voiles arrondies qui projettent au loin leurs ombres tremblantes!

Et par l’auge de saint Pierre, c’est un vaillant brick que celui-ci, qui, mollement bercé sur une mer paresseuse, semble s’y jouer comme une dorade par le beau temps.

Au souffle de cette petite brise, il continue honnêtement son chemin vers le sud-est, arrivant sans doute d’Europe où il se sera défait de toute sa cargaison, car il navigue sur son lest et montre presque deux pieds de cuivre hors de l’eau.

Il fait à bord une chaleur excessive, et le soleil ardent de l’équateur calcine le pont, malgré la double tente qui couvre la dunette.

Dans ce navire, tout était propre, luisant, frotté il y régnait un ordre admirable, un arrangement minutieux des plus petits détails; on eût dit un de ces comptoirs d’acajou soigneusement cirés, qui font la gloire et le bonheur d’un respectable fabricant de bonneteries.

Les fenêtres ouvertes à la brise laissaient pénétrer dans la dunette un courant d’air vif et frais qui soulevait de jolis rideaux de toile de Perse, et une vaste moustiquaire dont les plis légers entouraient un lit suspendu.

L’ameublement de cette petite cabine était fort simple, deux chaises, quelques instruments de mathématiques, un porte-voix, une malle, une table à roulis, et sur la table deux verres et une cruche de genièvre.

Au-dessus, le portrait d’une femme grasse et rebondie, souriant à un gros enfant joufflu qui lui offrait une rose, je crois, et dans le fond du tableau un chat angora, l’œil vif, la patte en l’air, jouant avec une bobine de coton.

Quel portrait! quelle femme! quel enfant! quelle rose! quel chat!

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